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Débats du Sénat (Hansard)

1re Session, 44e Législature
Volume 153, Numéro 100

Le mardi 14 février 2023
L’honorable George J. Furey, Président


LE SÉNAT

Le mardi 14 février 2023

La séance est ouverte à 14 heures, le Président étant au fauteuil.

Prière.

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, avec le consentement du Sénat et nonobstant l’article 5-5j) du Règlement, je propose :

Que, nonobstant toute disposition du Règlement ou toute pratique habituelle, pour la séance d’aujourd’hui, les hommages à feu l’honorable sénatrice Viola Léger se poursuivent durant les déclarations de sénateurs, s’il y a lieu, et que la période totale pour les hommages et les déclarations soit prolongée d’au plus cinq minutes.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)


DÉCLARATIONS DE SÉNATEURS

Hommages

Le décès de l’honorable Viola Léger, O.C., O.N.-B.

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, c’est à la fin de janvier à Dieppe, au Nouveau-Brunswick, qu’est décédée paisiblement l’ancienne sénatrice Viola Léger à l’âge de 92 ans.

Elle laisse dans le deuil ses trois sœurs, Doris, sœur Agnes et Lilianne, ainsi que de nombreux neveux, nièces, petits-neveux et petites-nièces. Viola Léger aimait beaucoup sa famille et je voudrais leur offrir mes plus sincères condoléances.

Viola Léger était principalement connue pour sa collaboration avec l’auteure Antonine Maillet et pour son interprétation de La Sagouine, rôle qu’elle a joué sur scène plus de 3 000 fois en français et en anglais, au Canada et à l’étranger.

Viola Léger était une excellente comédienne, une ambassadrice de l’Acadie et un important symbole de fierté pour tous les Acadiens et Acadiennes. Son art rendait hommage à la culture acadienne, y compris à sa langue. Bien sûr, Viola Léger parlait français, mais elle ne faisait pas que le parler : elle donnait un sens au langage courant des Acadiens et à ses tournures de phrases uniques et charmantes.

Rares sont les choses qui sont plus précieuses que la langue maternelle de chacun. En effet, la langue permet de véhiculer les traditions et les origines d’une culture. Elle est le reflet de son cœur et de son âme. Viola Léger a su incarner sur scène la langue et la culture acadiennes et leur a donné un souffle nouveau.

Madame Léger était une figure emblématique de l’Acadie, connue au Canada français sous le nom de la Sagouine, mais pour les membres du Sénat, elle était surtout une collègue estimée. Nommée par l’ancien premier ministre Jean Chrétien, elle a siégé au Sénat du Canada de 2001 à 2005. Il était tout naturel pour elle, dans le cadre de son travail au Sénat, de représenter le milieu des arts et de mettre en lumière les contributions importantes des artistes à la société canadienne. Elle a aussi incarné une partie importante de la mission du Sénat en défendant les intérêts des communautés marginalisées et minoritaires.

Lors de son premier discours au Sénat, prononcé en novembre 2001, la sénatrice Léger a dit ce qui suit de son Acadie bien-aimée :

De Terre-Neuve, de la Louisiane, de Caraquet, de Montréal ou de Belle-Île-en-Mer, l’âme acadienne naît et renaît sans cesse. Elle nous intrigue, nous séduit, nous émeut. Elle nous fait rire, nous fait parfois pleurer.

Bien que son décès puisse nous faire pleurer, il nous donne aussi l’occasion de nous remémorer la joie et les rires que Viola Léger a apportés dans nos cœurs. Que son âme repose en paix.

L’honorable Rose-May Poirier : Honorables sénateurs et sénatrices, c’est avec un cœur lourd que je prends la parole aujourd’hui afin de rendre hommage à Mme Viola Léger décédée le 28 janvier dernier, à l’âge de 92 ans.

Cette grande dame de l’Acadie a étendu les frontières de la culture acadienne à travers le pays et le monde en donnant vie au personnage de la Sagouine, créé par Antonine Maillet.

Viola Léger est sans l’ombre d’un doute une de nos plus grandes comédiennes, en Acadie. De 1971 à 2016, elle a incarné le personnage de la Sagouine à plus de 3 000 reprises, en français et en anglais, en Acadie comme au Québec, au Canada comme ailleurs dans le monde. Un vrai symbole de résilience acadienne, elle incarnait tant sur scène que hors scène les valeurs acadiennes : chaleureuse avec les gens, généreuse de son temps, fière de son Acadie et déterminée.

L’héritage de Viola Léger va au-delà de la scène du théâtre. Elle a ouvert des portes à plusieurs futurs comédiens et comédiennes issus de l’Acadie en démontrant qu’il était possible de vivre de son art. Elle a toujours redonné à la communauté, et ce, de plusieurs façons : elle a fondé sa propre compagnie de théâtre en 1985, et en 1999, elle a mis sur pied la Fondation Viola Léger qui, depuis 2011, décerne chaque année le prix Viola Léger afin d’appuyer un jeune artiste dans ses projets.

Le 13 juin 2001, Viola Léger a été nommée au Sénat, poste qu’elle occupera jusqu’au 29 juin 2005. Durant cette période, elle a bien profité de sa tribune pour faire rayonner l’Acadie. D’ailleurs, lors de son premier discours, le 20 novembre 2001, Viola Léger s’est prononcée sur une motion voulant que le gouvernement fédéral reconnaisse le 15 août comme la Fête nationale de l’Acadie et je cite ses paroles, comme ma collègue l’a fait :

De Terre-Neuve, de la Louisiane, de Caraquet, de Montréal ou de Belle-Île-en-Mer, l’âme acadienne naît et renaît sans cesse. Elle nous intrigue, nous séduit, nous émeut. Elle nous fait rire, nous fait parfois pleurer. Elle nous fait voyager dans le temps et dans l’espace. Les arts, c’est l’âme d’un peuple. Sans arts, il n’y a pas d’identité, et sans identité, un peuple n’existe pas. La culture acadienne aura été l’un des instruments les plus efficaces pour assurer le devenir du peuple acadien.

Honorables sénatrices et sénateurs, au nom du caucus conservateur, j’offre nos plus sincères condoléances aux proches de Mme Viola Léger et à toute l’Acadie qui pleure la perte de sa plus grande ambassadrice, notre Sagouine, qui maintenant brille dans le ciel comme notre plus belle étoile. Merci.

(1410)

L’honorable René Cormier : Honorables sénateurs, depuis son décès le 28 janvier dernier, les nombreux témoignages provenant de l’Acadie, du Québec, de la francophonie canadienne, de la France et d’ailleurs dans le monde ne cessent de mettre en lumière la place qu’occupe l’honorable Viola Léger dans le cœur du peuple acadien, des francophones et de tous les Canadiens.

Cette ancienne collègue du Sénat, enseignante, comédienne, sénatrice et amie possédait une présence unique et incomparable. Tant dans la vie que sur la scène, elle avait ce talent remarquable d’être dans le moment présent, comme si rien n’était plus important que cet instant pendant lequel elle s’adressait à vous, en vous regardant droit dans les yeux avec son regard perçant et lumineux aussi profond que l’océan Atlantique, et aussi vaste que le ciel de Bouctouche ou d’Abram-Village, de Chéticamp ou de Cap‑Saint‑Georges.

Comme mes collègues l’ont mentionné, Viola Léger a donné plus de 3 000 représentations de La Sagouine, œuvre de l’auteure tout aussi remarquable qu’est Antonine Maillet, un personnage qui lui a permis en quelque sorte de raconter sa propre histoire à elle, ses états d’âme comme ses réflexions sur la vie.

Sans cesse préoccupée par le sort des plus démunis de notre société, Viola Léger a fait sienne la vision de ce personnage, cette fille de pêcheurs de morue devenue laveuse de planchers, consciente des diverses exploitations subies par les siens et qui pose sur la vie un regard à la fois lucide, bienveillant et poétique.

Rigoureuse pour elle-même et pour celles et ceux qui l’entouraient, Viola a joué de multiples rôles dans nos deux langues officielles au cours de sa carrière. Pendant ses quatre ans au Sénat, la sénatrice Viola Léger a travaillé avec dévouement à faire connaître l’Acadie et à promouvoir les arts et la culture.

Elle possédait un sens du service public remarquable. Elle était consciente que la parole peut être porteuse d’espoir, et que ce soit sur scène ou au Sénat, les mots ont une force dont il faut faire bon usage. Elle mordait dans chaque mot comme si elle saisissait la force et la résonance de cette langue française — une langue acadienne comme un trésor à chérir avec la crainte qu’elle puisse disparaître.

Chers collègues, c’est une des voix marquantes du peuple acadien, de la francophonie et du pays tout entier qui s’est éteinte. Viola Léger, cette grande Canadienne, cette très grande Acadienne, a fait don de sa personne et mis sa vie au service du théâtre, du peuple acadien et de notre pays.

On a dit qu’en s’éteignant, sa voix emportait avec elle un morceau de l’âme acadienne. Or, je crois profondément que sa voix continuera de résonner pendant des générations encore, alimentant l’identité et la fierté du premier peuple francophone à avoir foulé le sol de ce continent.

Je conclurai non pas en citant le même texte que mes collègues, mais en disant que si « l’âme acadienne naît et renaît sans cesse », c’est ce qu’a été Viola Léger pour nous et ce qu’elle continuera d’être pour le peuple de l’Acadie.

Merci, chère Viola. Reposez en paix.

[Traduction]

L’honorable Pamela Wallin : Honorables sénateurs, au nom du sénateur Richards, qui ne peut pas être ici aujourd’hui, je vous transmets son hommage à Viola Léger :

Je ne l’ai vue qu’une fois sur scène, il y a maintenant plusieurs années, alors que j’étais en résidence à l’Université St. Thomas. Elle s’est présentée sur la petite scène intime et s’est assise sur une chaise éclairée par un seul projecteur, vêtue de son costume de la Sagouine. Elle s’est exprimée — cette fois-là —, en anglais. Étudiants et professeurs, nous étions assis en demi-cercle autour d’elle pour l’écouter prononcer les grands monologues d’Antonine Maillet d’une voix qui n’était pas seulement la sienne, pas seulement celle d’Antonine et pas seulement celle de l’Acadie — même si elle était, bien sûr, acadienne —, mais d’une voix qui est devenue, l’espace d’une heure, la nôtre également. Cette voix, je la connaissais tout comme je connaissais ma grand-mère de la Matapédia ou mon arrière-grand-mère acadienne. Progressivement, sa voix est devenue la nôtre, et nous sommes restés ainsi hypnotisés pendant une heure.

Elle incarnait une vieille dame, fille et femme de pêcheurs de la baie, qui lave des planchers dans un coin reculé du Nouveau-Brunswick. Que pouvait-elle bien apporter à des gens sophistiqués? Eh bien, voyez-vous, tout, absolument tout — tout ce que Dieu voulait que nous sachions, que nous comprenions ou que nous chérissions.

Petit à petit, sa présence a empli toute la petite scène — et le cœur du public assis en demi-cercle autour d’elle — de son charme, de son intelligence, de son humour et, au bout du compte, de sa compréhension profonde des grandes joies et des grandes tristesses de la vie. Les jeunes hommes et jeunes femmes dans le public — des jeunes d’une autre génération — écoutaient avec vénération cette femme qui célébrait l’essence de l’humanité — une célébration joyeuse de notre humanité commune à laquelle nous participons d’ailleurs plus souvent que nous pourrions l’imaginer.

L’interprétation des monologues révélait une compréhension hors du commun de la « manière » — la manière d’enchaîner les histoires et la manière de les raconter; c’est ainsi que les humains entrent en relation les uns avec les autres et avec le monde qui les entoure. Oui, il y avait l’excellent texte d’Antonine Maillet, mais c’est Mme Léger qui lui donnait vie sur scène. Lorsqu’elle le faisait, je pense qu’on peut dire que les deux femmes fusionnaient — la merveilleuse amitié qui les liait avait débuté un demi-siècle plus tôt et elle était transformée par les mots prononcés sur cette scène au décor minimaliste.

Je connaissais Antonine Maillet depuis un certain temps déjà lorsque Peg et mois avons été invités à l’Université de Moncton pour une célébration du 40e anniversaire de La Sagouine, mais je n’ai jamais eu la chance de rencontrer Mme Léger et d’échanger avec elle. Je le regrette. J’ai toujours cru que j’en aurais l’occasion un jour. De toute évidence, la vie en a voulu autrement. Quoi qu’il en soit, jamais je n’oublierai cette petite femme qui s’est produite sur scène durant cette heure-là, entourée de nous tous. Un seul projecteur illuminait cette âme noble, au dos courbé, pendant qu’elle nous confiait avec bienveillance et éloquence un trésor de sagesse — un trésor de sagesse que Tolstoï lui-même avait compris : il n’est nulle grandeur là où manquent simplicité, bonté et vérité.

Qu’aurais-je bien pu dire si je l’avais rencontrée? Je lui aurais dit que son humble personnage est universel et que, à l’instar de l’Hymne à la joie, d’Amazing Grace ou d’Oh, Danny Boy, ses monologues peuvent être compris par tous, dans toutes les langues, peu importe le drapeau auquel on s’identifie et peu importe son pays d’appartenance. Tout ce qu’il faut pour comprendre une vieille dame aussi grandiose est l’amour.

Des voix : Bravo!

[Français]

L’honorable Pierrette Ringuette : Honorables sénateurs et sénatrices, comme il est approprié qu’en ce 14 février, jour où nous témoignons de notre amour et de notre affection à nos proches, nous puissions rendre notre témoignage d’affection profonde pour cette grande dame, feue la sénatrice Viola Léger, qui nous a récemment quittés à l’âge de 92 ans.

Viola a été sénatrice représentant le Nouveau-Brunswick de 2001 à 2006, années pendant lesquelles elle a dirigé ses énergies au Comité des langues officielles et au Comité des peuples autochtones. En fait, ce n’était pas un hasard de la retrouver auprès de ces comités, puisqu’elle était une ardente défenseure des minorités, et ce, en tout temps.

Pendant ses années au Sénat, elle nous a régulièrement charmés avec ses poèmes imprégnés de profondeur, par ses messages qui nous interpellaient sur le rôle fondamental de la culture comme reflet de la diversité canadienne, qui nous unit par nos valeurs communes. Je n’ai pas le temps, en trois courtes minutes, d’énumérer tous les titres et les honneurs qui lui ont été décernés, mais ils furent tous fort bien mérités.

Pour nous, les francophones du Nouveau-Brunswick, elle a été une ambassadrice, tant à l’échelle nationale qu’internationale, où elle faisait rayonner notre histoire sur les scènes grâce à son rôle de la Sagouine. Hors scène, elle brillait par son sourire, son intelligence et son vécu.

Comme l’étoile du drapeau acadien, elle a été pour beaucoup d’entre nous cette étoile qui guide avec sagesse et dignité l’avenir des générations futures d’artistes acadiens, comme notre collègue le sénateur René Cormier et bien d’autres. J’aimerais d’ailleurs profiter de cette occasion pour remercier le sénateur Cormier, qui a dirigé avec éloquence les funérailles de Viola la semaine dernière. Merci, René.

Il va sans dire que, parmi tous les rôles que Viola a interprétés au cours de sa vie, son incarnation de la Sagouine, tiré du roman de son amie Antonine Maillet, elle la faisait avec brio. Chaque fois que j’assistais à une représentation, j’étais certes émue par son monologue et encore plus par le fait qu’elle pouvait captiver l’auditoire à elle seule, et ce, pendant des heures. C’était tout un exploit parmi tant d’autres qu’elle pouvait réaliser.

(1420)

Au Sénat, le 19 mai 2005, lors de son interpellation sur l’influence de la culture, elle dit ce qui suit :

Les arts jouent un rôle indispensable dans notre compréhension mutuelle.

La création artistique éveille les consciences. Elle est source de méditation, d’inspiration, de réflexion et de réconfort. Les arts contribuent à l’équilibre des individus, à élever les âmes, et nous permet de respirer, de vivre.

Les arts nous définissent et nous aident surtout à comprendre ce que nous sommes en tant que Canadiens, et où nous sommes en tant que société.

Voilà, honorables sénateurs, en ce jour de la Saint-Valentin, les paroles de Viola étaient celles de l’amour : l’amour pour l’Acadie, pour la culture, pour les arts, pour le Canada et pour nous tous qui avons été choyés de l’avoir eue dans nos vies, à certains moments de sa vie.

Chère Viola, mille mercis d’avoir consacré ta vie à l’amour de la culture et à l’amour des uns envers les autres. Sache que tu resteras toujours dans nos cœurs.

Ta vie et ta mission ont été accomplies avec brio. Repose en paix.

L’honorable Mobina S. B. Jaffer : Je prends la parole aujourd’hui pour rendre hommage à la sénatrice Viola Léger.

Au mois de septembre 2001, quatre personnes ont été nommées sénateurs et sénatrices : Laurier LaPierre, Viola Léger, Jean Lapointe et moi-même, et ce, une semaine après la tragédie du 11 septembre.

Comme j’étais la première sénatrice musulmane, cette situation m’inquiétait, parce que j’entendais des commentaires négatifs contre les musulmans aux Chambres.

Viola m’a réconfortée en me disant que ce n’était pas vrai que tous les musulmans étaient comme ça. Elle m’a dit : « Ne t’inquiète pas, sois patiente, prends ton temps et raconte ton histoire lentement. » Elle m’a promis qu’un jour, les choses allaient changer au Sénat.

Viola a été très généreuse avec moi.

La sénatrice Léger était avant tout une artiste accomplie. On se souvient surtout d’elle pour son rôle de la Sagouine, personnage créé par Antonine Maillet. La Sagouine, une modeste femme de ménage, fille de pêcheur, raconte son histoire ainsi que l’épopée de l’Acadie et ses habitants. Ce rôle met en vedette la culture et la langue acadiennes et fait connaître la réalité de ce groupe de francophones des Maritimes aux Canadiens et Canadiennes du reste du pays.

De 1971 à 2016, Viola Léger a incarné ce personnage plus de 3 000 fois en français et en anglais, le faisant briller aux quatre coins du Canada, des États-Unis et de l’Europe.

[Traduction]

Viola, j’aimerais vous donner des nouvelles concernant le conseil que vous m’avez donné; pour la partie « sois patiente », j’obtiens une note de C sur mon bulletin; la partie « prends ton temps » ne me vient pas naturellement; pour ce qui est de raconter mon histoire en tant que musulmane, je dirais que mes collègues musulmans et moi — nous sommes maintenant cinq au Sénat — avons fait de gros progrès.

Viola, vous étiez une amie et une collègue merveilleuse dont je me souviendrai toujours avec tendresse. Reposez en paix, mon amie.

Des voix : Bravo!

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, il ne faut jamais sous-estimer les effets de l’art sur nos vies. Les gens se sentent considérés et compris quand l’art reflète leur propre vécu. Cela peut également permettre de mieux comprendre ceux qui ont un point de vue différent.

Au nom du Groupe progressiste du Sénat, je voudrais rendre hommage à une ancienne collègue et amie qui a fait exactement cela. L’ancienne sénatrice Viola Léger est décédée le 28 janvier de cette année à l’âge de 92 ans. Avant sa nomination au Sénat par le très honorable Jean Chrétien en 2001, Viola a consacré sa vie à l’art en tant qu’actrice et enseignante. Elle était particulièrement reconnue pour son interprétation de La Sagouine, un rôle créé en 1971 par son amie et auteure Antonine Maillet et qu’elle a joué plus de 3 000 fois au cours de sa vie. Cette humble et franche laveuse de planchers a inspiré la fierté du peuple acadien, mais elle a aussi rayonné bien au-delà du cercle des personnes qui se sont reconnues en elle.

Elle a été décrite comme une icône, et en effet, l’auteure qui a créé son rôle emblématique a dit que si Viola Léger :

[...] n’avait pas joué la Sagouine, la Sagouine (n’aurait) pas eu le succès qu’elle a eu, et donc (je n’aurai pas) reçu la reconnaissance comme écrivain que j’ai reçue.

Beaucoup d’artistes canadiens considèrent Viola Léger comme une source d’inspiration et ont tenté de faire carrière dans les arts grâce à la voie qu’elle a tracée. Sans son influence, qui sait combien d’histoires et de beaux moments nous aurions pu rater. Quel merveilleux héritage.

Quand elle a été nommée ici en 2001, elle a certes démontré qu’elle n’avait pas peur de travailler fort. Même si elle était toute petite et calme, son dévouement était énorme et intense. Je me souviens qu’elle était déterminée à faire avancer les choses au Sénat, et qu’elle n’aimait pas beaucoup la partisanerie dont nous faisons souvent preuve.

Elle a siégé au sein du Comité des peuples autochtones, du Comité des langues officielles et du Comité des affaires sociales. Elle a aussi défendu les arts durant le temps qu’elle a passé dans cette enceinte.

La sénatrice Léger a été nommée officier de l’Ordre du Canada en 1989. En outre, elle a reçu le prix d’excellence dans le domaine des arts du gouvernement du Nouveau-Brunswick en 1995, l’Ordre du Nouveau-Brunswick en 2007 et quatre doctorats honorifiques. Elle a été nommée chevalier de l’Ordre des arts et des lettres de la France en 1991, membre de l’Ordre des francophones d’Amérique en 1998 et chevalier de l’Ordre de la Pléiade en 2004.

Honorables sénateurs, même si les Canadiens, et plus particulièrement les Néo-Brunswickois, ont perdu une icône bien‑aimée, La Sagouine occupera toujours une place dans nos cœurs. J’offre mes plus sincères condoléances à ses amis et à sa famille. Merci.

Des voix : Bravo!

[Français]

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous demanderais de bien vouloir vous lever et de vous joindre à moi pour observer une minute de silence en mémoire de notre collègue décédée.

(Les honorables sénateurs observent une minute de silence.)

Son Honneur le Président : Merci beaucoup, honorables sénateurs.

(1430)

[Traduction]

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Leila Sarangi, Athavarn Srikantharajah, Hannah Barrie, Mithilen Mathipalan et Terence Hamilton. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Moodie.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Campagne 2000

La publication du rapport annuel

L’honorable Rosemary Moodie : Honorables sénateurs, je prends la parole pour souligner la publication du rapport annuel de Campagne 2000 sur la pauvreté des enfants ici, au Canada. Je remercie Leila Sarangi et son équipe, ainsi que les nombreux partenaires et intervenants partout au pays, de ce travail important, et je les en félicite.

Le rapport de cette année est axé sur les retombées des mesures de soutien du revenu qui étaient offertes pendant la pandémie. Selon les données de 2020, Campagne 2000 a constaté que, même si plus de 300 000 enfants ont été sortis de la pauvreté, un enfant sur huit continue de vivre les effets à court et à long terme de la pauvreté dans toutes les facettes de leur vie.

Ainsi, chers collègues, au moins un million d’enfants vivent dans la pauvreté.

Les données de Campagne 2000 indiquent que, sans les prestations liées à la pandémie, un demi-million d’enfants supplémentaires vivraient aussi dans la pauvreté.

Une autre des principales constatations est que l’Allocation canadienne pour enfants a des résultats moindres et que ses effets sur la réduction de la pauvreté sont de plus en plus négligeables. Le simple fait de l’indexer à l’inflation n’est pas suffisant.

Chers collègues, je vous souligne que ces conclusions doivent être replacées dans le contexte actuel. À cause de la hausse de l’inflation, les familles à faible revenu ont encore plus de difficultés. Les familles qui vivent dans la pauvreté, dont bon nombre sont noires ou autochtones, ont besoin de plus de soutien de la part du gouvernement, et non pas de moins. Il y a donc encore beaucoup de travail à faire.

Pourquoi est-ce important? La force d’une démocratie dépend de la croyance des citoyens en sa capacité de répondre à leurs besoins. Lorsque les familles avec enfants ont de la peine à joindre les deux bouts, cela indique non seulement que nous avons manqué à nos obligations en matière de droits de la personne, mais aussi, cela témoigne du besoin d’apporter de grands changements à nos systèmes pour en assurer la survie. À une époque où les démocraties sont menacées, nous ne pouvons faire fi de cette question.

Ainsi, chers collègues, que devrions-nous faire? Je vais souligner ce que propose Campagne 2000, à savoir l’élaboration d’une stratégie nationale pour les enfants et les jeunes, afin de définir la vision du pays que nous voulons créer pour nos enfants. Campagne 2000 appuie aussi l’ajout d’un supplément à l’Allocation canadienne pour enfants pour les familles vivant en situation de grande pauvreté, une mesure que j’appuie sans réserve.

Au bout du compte, nous devons reconnaître que la pauvreté chez les enfants est un choix politique. Elle n’est pas inévitable, et nous pouvons prendre la décision d’y mettre fin, une fois pour toutes. Merci.

La catastrophe de l’Ocean Ranger

L’honorable David M. Wells : Honorables sénateurs, il y a 41 ans, en 1982, pendant la nuit du 14 février jusqu’aux premières heures du matin du 15 février, l’Ocean Ranger, une plateforme de forage semi-submersible, s’est renversée et a coulé à 175 milles marins à l’est de St. John’s. Un appel de détresse a été envoyé avant que la plateforme ne coule et soit abandonnée. À l’époque, il était presque impossible de déployer des bateaux de sauvetage et d’y faire monter des gens de façon sécuritaire en pleine tempête dans l’Atlantique Nord. Cette nuit-là, 84 hommes, pour la plupart des Terre-Neuviens, ont péri dans ces eaux sombres, glaciales et agitées. Dans la plupart des cas, on a déterminé que ces hommes sont morts noyés alors qu’ils étaient en hypothermie.

L’Ocean Ranger, la plus grande plateforme de forage semi-submersible du monde, n’avait que six ans. Lors de la Commission royale mixte fédérale-provinciale sur le désastre marin de l’Ocean Ranger, on a constaté que l’équipage n’avait pas reçu de formation de sécurité adéquate, que son équipement de sécurité était inadéquat et qu’aucun protocole de sécurité n’avait été mis en place pour le navire de ravitaillement. Les inspections de la plateforme menées par les organismes de réglementation des États-Unis et du Canada étaient aussi inadéquates, et la plateforme comportait elle-même des vices de conception et de construction.

Honorables collègues, les accidents se produisent habituellement lorsque plusieurs systèmes sont défaillants. Dans le cas de la catastrophe qui s’est produite il y a 41 ans, tous les éléments pouvant mener à un désastre étaient réunis. C’était la tempête parfaite, au propre comme au figuré.

Dans ce cas-ci, la commission royale a identifié la cause principale comme étant une vague qui s’est abattue sur le hublot de la salle de contrôle des ballasts et l’eau de mer qui a rendu le panneau de contrôle des ballasts inopérant, ce qui a fait gîter la plateforme. L’action des vagues a ensuite pris le relais pour porter le coup de grâce. Le hublot de la salle de contrôle des ballasts qui a été fracassé se trouvait à 8,5 mètres de la ligne de flottaison, alors que les vagues approchaient les 20 mètres. Le vent soufflait quant à lui à 190 kilomètres à l’heure.

La culture de la sécurité dans le secteur extracôtier de Terre-Neuve s’est considérablement améliorée depuis. Ceux qui étaient au Sénat en 2014 se souviendront peut-être que j’ai présenté la Loi sur la santé et la sécurité dans la zone extracôtière, qui mettait à jour les exigences en matière de sécurité en mer. Cette loi a été adoptée à l’unanimité par les deux Chambres et elle s’applique maintenant dans les zones extracôtières du Canada. La formation est meilleure, l’équipement est meilleur, les processus sont meilleurs, tout comme les prévisions, mais les dangers demeurent toujours.

J’ai eu l’honneur d’assister samedi soir à St. John’s à une pièce de théâtre intitulée RIG: An Oral History of the Ocean Ranger Disaster, écrite par Mike Heffernan et adaptée pour la scène par Joan Sullivan. Je leur ai parlé à tous les deux pendant le weekend et j’ai rencontré les acteurs. Sur la douzaine de personnes dépeintes dans la pièce qui sont intimement liées au lendemain de la catastrophe, j’en connaissais quatre.

Quand la tragédie frappe à Terre-Neuve-et-Labrador, on remarque que le monde est petit. Il n’y a pas une seule communauté qui n’a pas été touchée par cette tragédie. Il y a des livres, des chansons, des pièces de théâtre et des monuments, et il y a ceux qui sont encore en deuil. Ce soir et demain, notre province commémorera cette perte. J’invite tous mes collègues à le faire également. Merci.

Visiteurs à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Dawn Edlund, Diane Burrows et Michael Molloy. Ils sont les invités de l’honorable sénatrice Jaffer.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

La Semaine de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive

L’honorable F. Gigi Osler : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour vous dire que c’est la Semaine de sensibilisation à la santé sexuelle et reproductive, une campagne annuelle conçue pour sensibiliser le public à la santé sexuelle et génésique et pour promouvoir les ressources visant à améliorer la santé des collectivités au Canada.

Toute personne a le droit fondamental de disposer de son corps, le droit à la sécurité et le droit à la santé. Les droits génésiques sont des droits fondamentaux, et l’avortement fait partie des soins de santé.

Le manque d’accès rapide à des renseignements sûrs, inclusifs et respectueux sur la santé sexuelle et génésique constitue un risque pour la santé physique, la santé mentale et le bien-être social d’une personne.

Bien que le mois de janvier dernier ait marqué les 35 ans de l’arrêt Morgentaler, qui a garanti le droit à l’avortement légal au Canada, l’accès aux avortements reste inéquitable. Ce n’est pas parce que ces services sont légalisés qu’ils sont nécessairement accessibles.

Des obstacles importants à l’accès aux soins de santé sexuelle et génésique existent toujours, notamment l’exclusion des services d’avortement en clinique dans certaines provinces, l’accès limité à des services de santé rapides dans les communautés éloignées, rurales et autochtones du Nord, l’absence d’une couverture universelle des contraceptifs, et la montée de la désinformation et de la mésinformation sur divers sujets de santé, y compris les soins d’affirmation du genre.

Le programme de formation des fournisseurs de soins de santé devrait inclure davantage de formation concernant tous les volets de l’éducation sexuelle, la santé reproductive, la contraception et les soins liés à l’avortement. Un financement accru et permanent affecté au Fonds pour la santé sexuelle et reproductive permettrait de soutenir des organisations communautaires axées sur la santé, comme Action Canada pour la santé et les droits sexuels et la Fédération nationale de l’avortement. Ces deux organismes offrent des lignes téléphoniques sans frais et des répertoires en ligne, dans le but de fournir des renseignements exacts et fiables sur les options qui s’offrent aux personnes enceintes, les services de santé génésique et les soins offerts sans préjugés.

Il faut célébrer ces réussites et renforcer notre engagement de veiller à ce que les gouvernements facilitent un accès rapide, sécuritaire et équitable aux soins de santé pour tous les citoyens.

À titre de médecin et de membre de l’Association canadienne des parlementaires pour la population et le développement, je suis résolue à faire avancer le travail requis pour éliminer les failles qui empêchent les gens d’avoir accès à des soins de santé sexuelle et des soins génésiques inclusifs, au Canada et dans le monde entier.

J’invite les personnes intéressées à se joindre aux efforts collectifs que nous déployons dans ce domaine. Merci beaucoup. Meegwetch.

[Français]

Le Mois de l’histoire des Noirs

Jean-François Kacou

L’honorable Amina Gerba : Honorables sénateurs, je poursuis ma série annoncée dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs cette année, avec la présentation d’un autre Afro-Canadien, un jeune leader au parcours atypique qui a choisi de s’établir dans un coin du pays que plusieurs d’entre nous, dans cette enceinte, ne connaissent probablement pas. Il s’agit de Jean-François Kacou, que j’appelle affectueusement JFK et qui a été, jusqu’au 10 février dernier, le directeur général de la Ville de Percé, au Québec.

(1440)

Arrivé au Québec pour la première fois comme touriste, JFK tombe sous le charme et l’accueil des Québécois, du dynamisme de Montréal ainsi que des multiples possibilités qu’offre le Canada.

Diplômé de l’Université de Bordeaux et jeune entrepreneur, JFK décide, après son retour en France, de revenir au Québec, cette fois comme professionnel. Il travaille d’abord comme consultant avant de se joindre à mon équipe chez Afrique Expansion Inc. comme conseiller stratégique, en 2015.

C’est alors que j’ai découvert un jeune homme passionné, tant par le potentiel économique du Québec que par la nécessité de connecter notre pays à l’Afrique — un jeune homme travailleur, un développeur de projets rigoureux et un « intrapreneur » très ambitieux.

En 2019, à la suite d’un processus de recrutement qui a révélé ses multiples compétences, la mairesse de la ville de Percé l’a retenu au poste de directeur général de cette ville du Québec, charmante par son paysage et ses attractions touristiques, dont le très réputé rocher Percé.

Jean-François Kacou a marqué son passage à Percé. La Ville a connu une diversification de son développement économique, grâce à l’introduction d’une redevance touristique et à l’écofiscalité, la création de l’école de permaculture à Val-d’Espoir et l’ouverture de l’espace culturel et des congrès de Percé.

Chers collègues, l’objectif de ma série durant ce mois était d’attirer votre attention sur ces jeunes Afro-Canadiens bâtisseurs. Il y en a plusieurs, qui contribuent au développement économique de notre pays, et ce, depuis plus de 400 ans.

Joignez-vous à moi pour saluer la contribution de Jean-Francois Kacou au développement économique et touristique de la ville de Percé, au Québec. Merci.

Des voix : Bravo!

[Traduction]

Le Mois du patrimoine africain

L’honorable Mary Coyle : Honorables collègues :

Arrachées des terres de Pierrot l’utopiste et de Muddy Waters le torturé, ces fleurs élégiaques de Whylah Falls, ce village noir du Mississippi exilé en 1783 dans le comté de Jarvis en Nouvelle-Écosse, ploient sous le poids de l’histoire. Arrosées d’alcool et de larmes puis asséchées par le blues déchirant, c’est sous le clair de lune qu’elles s’épanouissent. Destinées à l’origine au jardin de Whylah Falls, ces fleurs déracinées poussent librement ici.

Le « ici » dans ce poème désigne Africadia, un endroit situé en Acadie, en Nouvelle-Écosse, le lieu de naissance de l’ancien poète officiel du Parlement, George Elliott Clarke, où sont venus les premiers Africains à s’établir au Canada. Ces « fleurs élégiaques » déracinées du poème de George Elliott Clarke représentent les quelque 3 000 personnes de descendance africaine qui se sont établies à Birchtown, en Nouvelle-Écosse, en 1783, comme le personnage fictif d’Aminata Diallo de l’ouvrage de Lawrence Hill, Book of Negroes.

J’ai cité ce poème lorsque je suis intervenue pour appuyer le projet de loi sur le Jour de l’émancipation de la sénatrice Bernard. Aujourd’hui, je prends la parole pour célébrer le Mois du patrimoine africain, comme on l’appelle en Nouvelle-Écosse. Je veux souligner que notre province est le berceau de la culture et du patrimoine africains au Canada.

Des Africains et des personnes d’origine africaine de diverses origines se sont installés en Nouvelle-Écosse, notamment les loyalistes noirs mentionnés plus haut, à l’époque de la guerre d’Indépendance des États-Unis. Certains ont fini par partir pour contribuer à l’établissement de Freetown, en Sierra Leone.

En 1604, Mathieu Da Costa aurait été le premier Noir à s’établir en Nouvelle-Écosse et son nom figure parmi ceux des fondateurs de Port-Royal, établi par Samuel de Champlain sur le territoire traditionnel mi’kmaq, près de la ville actuelle d’Annapolis Royal.

On dit que, pendant le régime français de 1713 à 1758, 200 esclaves noirs habitaient la forteresse de Louisbourg dans l’île du Cap-Breton, la majorité provenant des Antilles françaises.

En 1796, 600 Marrons de Trelawny Town ont été forcés de quitter la Jamaïque pour la Nouvelle-Écosse, et la plupart sont partis pour la Sierra Leone.

Après la guerre de 1812, environ 2 000 réfugiés noirs sont arrivés dans la province, et à partir des années 1920, des centaines d’immigrants antillais sont venus au Cap-Breton pour travailler dans les mines de charbon et dans l’industrie sidérurgique. De nos jours, les personnes d’origine africaine continuent d’enrichir notre province de multiples façons.

En terminant, j’aimerais féliciter trois piliers importants dans le monde de l’éducation de notre province : le Black Cultural Centre et son musée afro-néo-écossais, à Cherry Brook; le Delmore « Buddy » Daye Learning Institute dédié aux études afrocentriques, à Halifax; et le Black Loyalist Heritage Centre, un centre du patrimoine unique, à Birchtown. Merci de nous éclairer sur l’histoire, le patrimoine, la culture, les populations, les communautés et les réalisations d’origine afro-néo-écossaise. Votre travail est primordial. Merci, wela’lioq.

Visiteur à la tribune

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, je vous signale la présence à la tribune de Tanya Foubert, conseillère municipale de la Ville de Canmore. Elle est l’invitée de l’honorable sénatrice Sorensen.

Au nom de tous les honorables sénateurs, je vous souhaite la bienvenue au Sénat du Canada.

Des voix : Bravo!

Le Mois de l’histoire des Noirs

John Paris fils

L’honorable Leo Housakos : Honorables sénateurs, comme nous soulignons les récits et les réalisations de tant d’incroyables Canadiens noirs dans le cadre du Mois de l’histoire des Noirs, j’aimerais prendre quelques instants pour rendre hommage à une personne qui représente beaucoup pour moi et pour beaucoup d’amateurs de hockey : John Paris fils.

C’était un joueur de hockey talentueux de Windsor, en Nouvelle‑Écosse, qui avait été recruté par nul autre que Scotty Bowman pour jouer dans la Ligue de hockey junior majeur du Québec en 1960. À la suite d’un cruel jeu du sort, la carrière de John a été stoppée par ses combats contre la maladie de Hodgkin et d’autres problèmes de santé. Il a toutefois pu poursuivre une extraordinaire carrière d’entraîneur, faisant figure de pionnier à chaque instant.

Il a été le premier entraîneur noir de la Ligue de hockey junior majeur du Québec; le premier recruteur noir de la LNH; le premier directeur général noir d’une ligue de hockey professionnel; et le premier entraîneur noir du hockey professionnel, menant les Knights d’Atlanta jusqu’au championnat de la Ligue internationale de hockey en 1994. Toutefois, le jour où il a guidé les Riverains de Richelieu jusqu’à la Coupe Air Canada a probablement compté parmi les moments de sa carrière au hockey dont il a été le plus fier. Il a fracassé de nombreux plafonds de verre et surmonté les obstacles avec classe et excellence.

Laissez-moi vous parler un peu du caractère de l’homme. Pendant mes années de hockey mineur dans la région de Montréal, je n’ai jamais eu le privilège d’être entraîné par John. Je connaissais toutefois la légende de John Paris fils comme entraîneur dans le midget AAA et la Ligue de hockey junior majeur du Québec. Ma propre carrière de joueur n’a jamais abouti non plus — pour des raisons bien différentes, bien sûr —, mais j’ai touché un peu au métier d’entraîneur. C’est ainsi que j’ai rencontré John Paris fils en 2004, lors d’une saison écourtée par le lock-out dans la Ligue nationale de hockey. Comme tout le monde dans la ligue, John essayait de se tenir occupé, alors il entraînait une équipe de la Ligue nord-américaine de hockey, à Laval. Je me suis présenté à lui à la patinoire de Laval et je lui ai demandé s’il accepterait de venir une fin de semaine pour diriger quelques pratiques de mon équipe AAA de hockey de printemps, un groupe de joueurs de 8 ans dont mon fils faisait partie. Bien entendu, lorsque j’ai approché M. Paris, je lui ai demandé très humblement quelle serait la rémunération requise pour quelqu’un ayant une telle expérience et un tel parcours professionnel. Il m’a répondu : « Leo, je serais heureux de venir. Vous pouvez me payer ce que vous voulez ou rien du tout. » Il est venu cette fin de semaine là et est resté six mois.

Chers collègues, permettez-moi de vous dire que je n’ai jamais vu quelqu’un qui pouvait captiver les enfants, les motiver, communiquer avec eux et leur enseigner des choses comme John le faisait. Leurs yeux s’illuminaient à la simple mention de son nom et de ses méthodes d’entraînement. Dans la suite de leur carrière de hockeyeurs, que ce soit dans le junior, au collège ou même dans la LNH pour deux d’entre eux, ils n’ont jamais oublié le temps qu’ils ont passé avec le « coach John » lorsqu’ils avaient 8 ans. Il n’était pas seulement le meilleur entraîneur de hockey noir, il était le meilleur entraîneur, point final. Plus important encore, il était une bonne personne et un être humain incroyable.

Chers collègues, j’espère que vous vous joindrez à moi pour souligner les contributions de John tant sur la glace qu’à l’extérieur en appuyant un mouvement en ligne visant à introniser John Paris fils au Temple de la renommée du hockey en tant que bâtisseur et entraîneur. Chers collègues, je vous encourage à en apprendre davantage sur cette légende du hockey canadien et à signer la pétition visant à l’admettre là où il mérite d’être, soit au Temple de la renommée du hockey de la LNH. Merci.


[Français]

AFFAIRES COURANTES

Le Code criminel
La Loi sur les juges

Projet de loi modificatif—Présentation du onzième rapport du Comité des affaires juridiques et constitutionnelles

L’honorable Brent Cotter, président du Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, présente le rapport suivant :

Le mardi 14 février 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a l’honneur de présenter son

ONZIÈME RAPPORT

Votre comité, auquel a été renvoyé le projet de loi C-233, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur les juges (violence contre un partenaire intime), a, conformément à l’ordre de renvoi du mercredi 14 décembre 2022, examiné ledit projet de loi et en fait maintenant rapport sans amendement, mais avec des observations qui sont annexées au présent rapport.

Respectueusement soumis,

Le président,

BRENT COTTER

(Le texte des observations figure aux Journaux du Sénat d’aujourd’hui, p. 1247.)

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, quand lirons‑nous le projet de loi pour la troisième fois?

(Sur la motion du sénateur Dalphond, la troisième lecture du projet de loi est inscrite à l’ordre du jour de la prochaine séance.)

(1450)

[Traduction]

Affaires sociales, sciences et technologie

Préavis de motion tendant à autoriser le comité à déposer son rapport sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat, au plus tard le 31 mars 2023, un rapport intérimaire sur les questions concernant les affaires sociales, la science et la technologie en général, si le Sénat ne siège pas à ce moment‑là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Le Sénat

Préavis de motion tendant à demander au gouvernement de désigner immédiatement le Corps des Gardiens de la révolution islamique comme entité terroriste

L’honorable Ratna Omidvar : Honorables sénateurs, je donne préavis que, à la prochaine séance du Sénat, je proposerai :

Que, compte tenu des informations faisant état de violations des droits de la personne, de répression et d’exécutions de ses citoyens, en particulier les femmes, en Iran par le Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le Sénat demande au gouvernement de désigner immédiatement le CGRI comme entité terroriste.


PÉRIODE DES QUESTIONS

Le Bureau du Conseil privé

Les réponses à des questions écrites

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Comme d’habitude, ma question s’adresse au leader du gouvernement.

Monsieur le leader, aujourd’hui, 63 questions écrites inscrites au Feuilleton du Sénat demeurent toujours sans réponse après six mois, dont 51 qui ont été inscrites il y a plus d’un an. En fait, au moins huit de mes questions ont été inscrites lors de la législature précédente, et l’une d’elles remonte au 27 octobre 2020.

Au titre du Règlement de la Chambre des communes, le gouvernement dispose de 45 jours pour répondre aux questions. C’est la preuve qu’il est possible de fournir rapidement des réponses aux parlementaires.

Sénateur Gold, ces retards dans les réponses aux questions des honorables sénateurs sont inacceptables. Que faites-vous pour corriger le problème?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Je me suis efforcé et je continuerai à m’efforcer d’obtenir des réponses le plus rapidement possible. Je crois que nous avons fait des progrès à ce chapitre, comme l’indiquent mes déclarations et mes réponses au Sénat.

Je vais certainement me renseigner au sujet des questions qui n’ont pas encore reçu de réponse, surtout au sujet de l’état des questions posées lors de législatures précédentes.

Le sénateur Plett : Je n’ai aucun doute que vous faites votre travail; c’est le gouvernement Trudeau qui, depuis longtemps, a pris l’habitude de refuser aux Canadiens, y compris aux parlementaires, l’accès à l’information concernant ce que fait le gouvernement et la façon dont il dépense l’argent des contribuables. Par exemple, je trouve difficile à croire que CBC/Radio-Canada ne soit toujours pas en mesure de dire combien lui a coûté sa poursuite malheureuse contre le Parti conservateur du Canada. Ma question à ce sujet est inscrite au Feuilleton depuis le 25 mai 2021.

Je trouve également difficile à croire que personne au gouvernement ne sache combien d’emplois de la classe moyenne ont été créés au Canada grâce aux dizaines de millions de dollars du Trésor public envoyés en Chine par l’entremise de la Banque asiatique d’investissement dans les infrastructures. Cette question est inscrite au Feuilleton du Sénat depuis le 30 mars 2021.

Monsieur le leader, si ce n’est pas là l’exemple parfait du mépris total du gouvernement Trudeau envers le Sénat, les Canadiens et la reddition de comptes, qu’est-ce donc, monsieur le leader?

Le sénateur Gold : Ce n’est pas du mépris. Comme je l’ai dit dans ma réponse précédente, cher collègue, je continuerai de tout faire en mon pouvoir pour obtenir des réponses le plus rapidement possible.

[Français]

La justice

Les peines appropriées

L’honorable Pierre-Hugues Boisvenu : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, Le Journal de Montréal nous a rapporté que le ministre de la Justice du Québec a adressé une lettre au ministre Lametti dénonçant les mesures du projet de loi C-5 qui permet d’imposer des sentences à domicile plutôt que des sentences de prison pour les agresseurs sexuels. J’aimerais vous citer un passage du Journal de Montréal où l’on rapporte que le ministre Jolin‑Barrette affirme ce qui suit :

[...] le retour des peines avec sursis pour certains crimes constitue « un recul important en matière de lutte contre les violences sexuelles ». Il ajoute que cette loi va « à l’encontre des efforts déployés par tous les intervenants du système de justice pour éviter que les personnes victimes hésitent à dénoncer et à porter plainte ».

Se questionnant sur le « message envoyé » par cette législation, M. Jolin-Barrette demande à David Lametti de « remédier immédiatement à la situation ».

Quand le ministre va-t-il remédier à cette situation?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Merci pour la question et pour votre engagement dévoué auprès des victimes de la violence et du crime. C’est la position du gouvernement du Canada, exprimée à plusieurs reprises par le ministre Lametti et aussi encadrée dans le projet de loi que nous avons adopté : les sentences qui étaient abolies dans le projet de loi dont vous avez fait mention sont appropriées dans les circonstances et on a trouvé dans ce projet de loi un juste équilibre pour faire en sorte que notre système soit juste, sévère lorsque c’est approprié, mais approprié dans toutes les circonstances.

Le sénateur Boisvenu : Sénateur Gold, le robinet est ouvert. Au Québec, nous approchons de la douzaine de sentences à domicile pour des agresseurs sexuels, ceux qui font du trafic d’armes ou du trafic de drogue; hier, c’était pour quelqu’un qui a tenté d’assassiner son ami avec un tournevis. On l’a renvoyé chez lui pour qu’il passe 20 mois dans son salon.

Le ministre Lametti a déclaré qu’il voulait désengorger les palais de justice, mais cela sert plutôt à vider les prisons.

Ce matin, la ministre fédérale des Sports a encore invité les athlètes victimes à dénoncer leur agresseur. Sénateur Gold, ma question est assez simple : êtes-vous d’accord pour qu’en 2023, on permette à des violeurs, des hommes qui agressent des femmes, de retourner dans leur salon en toute quiétude, plutôt que d’aller en prison?

Le sénateur Gold : Je vous remercie pour la question. Je suis en accord avec la loi telle qu’elle a été adoptée, car elle crée un juste équilibre dans le système pénal. J’ai pleinement confiance en notre système de justice, y compris les juges qui sont saisis des faits pertinents dans tous les cas. Je vais continuer à faire confiance à ce système.

(1500)

[Traduction]

La sécurité publique

La Gendarmerie royale du Canada

L’honorable Paula Simons : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement.

Hier, la photojournaliste d’Edmonton de renommée internationale Amber Bracken et le magazine The Narwhal ont intenté une poursuite contre la Gendarmerie royale du Canada pour réclamer une indemnisation ainsi qu’une clarification des mesures de protection des journalistes contre les forces de l’ordre. Cela survient dans la foulée de l’arrestation de Mme Bracken en 2021 alors qu’elle était en affectation pour The Narwhal dans le cadre de sa couverture du conflit entre les manifestants et la Gendarmerie royale du Canada sur le territoire des Wet’suwet’en de Colombie-Britannique. Mme Bracken dit avoir informé les agents qui l’ont arrêtée de la jurisprudence qui protège les journalistes dans les zones visées par une injonction, mais ceux-ci lui ont répondu ne pas être au courant d’une telle loi.

À la lumière de ces allégations de graves violations, que fera le gouvernement pour s’assurer que notre corps policier national respecte la présente des journalistes et les droits de ces derniers de documenter le conflit?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Je suis au courant de la situation dont vous parlez et de la poursuite qui a été intentée. Évidemment, je ne peux commenter une affaire judiciaire en instance. Pour ce qui est de votre question, je devrai me renseigner et je serai heureux de vous communiquer la réponse.

[Français]

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

L’octroi de visas temporaires

L’honorable Amina Gerba : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, nous travaillons tous pour le rayonnement de notre pays dans le monde, et Montréal est devenue une vitrine internationale qui accueille une multitude de conférences internationales et d’investisseurs.

Cependant, les délégués qui veulent participer à ce genre de conférences se voient refuser des visas d’entrée au Canada, parce qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada croit qu’ils resteront tout simplement au Canada et ne retourneront pas chez eux.

C’est une situation aberrante qui nuit à la réputation de notre système d’immigration et qui porte préjudice à beaucoup de possibilités.

Sénateur Gold, quand le gouvernement trouvera-t-il une façon de faciliter l’obtention de visas temporaires, particulièrement pour les investisseurs potentiels, les professionnels et les parents des étudiants qui vivent dans notre pays?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie, chère collègue, d’avoir soulevé cette question importante. Je comprends très bien vos préoccupations.

Le gouvernement a mis en place plusieurs ressources pour faire en sorte que nous soyons en mesure d’améliorer notre système d’immigration.

Pour ce qui est de votre question en particulier, je vais faire un suivi auprès du gouvernement et je vous reviendrai dès que j’aurai une réponse.

[Traduction]

L’agriculture et l’agroalimentaire

Le soutien au secteur agricole

L’honorable Robert Black : Ma question s’adresse au représentant du gouvernement au Sénat.

Sénateur Gold, je suis certain que vous savez que demain est le Jour de l’agriculture canadienne. Demain — et j’espère tous les jours —, les agriculteurs, les producteurs et tous les membres des secteurs de l’agriculture et de la transformation seront félicités pour leurs contributions incommensurables à ce pays. Ils font partie intégrante de la vie de chaque Canadien, et il est primordial de continuer à soutenir leurs infatigables efforts pour contribuer à la prospérité de notre pays.

Or, si l’industrie agricole a connu de nombreux succès, elle continue de se heurter à des obstacles, des freins et des difficultés. Qu’il s’agisse des changements climatiques, de la pandémie de COVID-19, des pénuries de main-d’œuvre ou des problèmes de réglementation, tous les acteurs de ce secteur savent tirer leur épingle du jeu malgré les nombreux problèmes. Leur détermination, leurs compétences et leur dévouement sont reconnus par les Canadiens d’un océan à l’autre.

Sénateur Gold, pouvez-vous nous dire ce que le gouvernement canadien fait actuellement pour aider à résoudre les défis constants auxquels est confronté ce secteur, à savoir la capacité de transformation, la sécurité alimentaire, la santé des sols et le changement climatique, pour n’en citer que quelques-uns?

Avant que vous ne répondiez, je tiens à vous souhaiter, ainsi qu’à mes collègues ici présents et à tous les Canadiens, un très bon Jour de l’agriculture canadienne demain.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je remercie mon collègue d’avoir souligné le cinquième anniversaire du Jour de l’agriculture canadienne. C’est un jour où nous pouvons remercier nos agriculteurs et nos producteurs pour ce qu’ils font, célébrer leurs réalisations et réfléchir à notre avenir agricole.

Sénateur, vous avez signalé à juste titre les nombreux défis que doit relever actuellement le secteur agricole. Le gouvernement tient à aider les agriculteurs à surmonter ces défis. Pour ce qui est de la santé des sols, par exemple, le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire et ses laboratoires mènent depuis longtemps des recherches scientifiques fondamentales dans ce domaine, en plus de mettre en place des technologies et des pratiques novatrices. Ils sont déterminés à transférer ce savoir aux producteurs.

Quant au changement climatique, le gouvernement a investi plus de 1,5 milliard de dollars au cours des deux dernières années pour aider les producteurs à adopter de bonnes pratiques, à acquérir des technologies propres, et à effectuer des travaux de recherche‑développement pour déterminer comment s’adapter aux changements climatiques, tout en continuant de favoriser la croissance du secteur.

Enfin, le gouvernement a mené à bien les négociations sur le Partenariat canadien pour une agriculture durable avec nos partenaires provinciaux et territoriaux. À compter d’avril 2023, cet accord versera 3,5 milliards de dollars sur cinq ans dans l’agriculture canadienne afin de permettre d’assurer la prospérité et la viabilité du secteur.

Je vous remercie, sénateur Black, de vos efforts inlassables dans ce dossier. Je me joins à vous pour souhaiter à tous un heureux Jour de l’agriculture canadienne.

L’immigration, les réfugiés et la citoyenneté

Les contrats de services

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Ma question s’adresse au leader du gouvernement au Sénat.

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada a octroyé aux consultants de McKinsey & Company des contrats d’une valeur de 24,5 millions de dollars pour de supposés conseils de gestion. Un fonctionnaire de ce ministère a dit ce qui suit à Radio-Canada le mois dernier :

On a eu quelques présentations sur des trucs très génériques, complètement creux. Ils arrivaient avec de jolies couleurs, de jolies présentations et disaient qu’ils vont tout révolutionner [...] À la fin, on ne sait pas du tout ce qu’ils ont fait [...]

Monsieur le leader, les temps d’attente et l’arriéré de ce ministère au cours des dernières années sont sans contredit pires que jamais. Pourquoi le gouvernement Trudeau a-t-il donné des millions de dollars de l’argent des contribuables à McKinsey alors que les conseils que la société fournissait au ministère de l’Immigration étaient de toute évidence inefficaces?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question, qui soulève différents aspects. Nous avons parlé à plusieurs reprises des difficultés qu’éprouve le système d’immigration au Canada, et j’ai fait de mon mieux pour fournir des détails sur les mesures prises par le gouvernement dans le but de corriger la situation que nous vivons.

Comme je l’ai aussi dit à plusieurs reprises, le gouvernement a une confiance énorme dans ses institutions et sa fonction publique professionnelle, mais, comme d’autres, il a recours à l’expertise de spécialistes externes pour régler des problèmes dans certains dossiers. Encore une fois, ce cas particulier concerne le problème frustrant qui mine le système d’immigration. Le gouvernement a confiance dans la fonction publique et il est convaincu d’utiliser les fonds publics de façon responsable lorsqu’il a recours à l’aide de l’extérieur pour régler des problèmes auxquels les Canadiens sont confrontés.

La sénatrice Martin : Monsieur le leader, plus de 2 millions de demandes sont en souffrance à Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. À l’heure actuelle, selon le site Web du gouvernement, le délai de traitement d’une demande pour un ouvrier qualifié cherchant à entrer au Canada est de 70 mois.

Malgré l’énorme arriéré et le peu de preuves montrant que les Canadiens obtiennent une bonne valeur pour l’argent dépensé dans les contrats de McKinsey, le gouvernement Trudeau a révisé un contrat du ministère de l’Immigration pendant la pandémie pour donner encore plus d’argent à McKinsey.

Monsieur le leader, pourriez-vous nous dire pourquoi le gouvernement a cru que McKinsey méritait plus d’argent des contribuables canadiens pour un travail si mal fait?

Le sénateur Gold : Je vous remercie de votre question, chère collègue, mais je ne souscris pas à sa prémisse, à son hypothèse, ni à son énoncé.

Comme je l’ai déjà expliqué au Sénat, le gouvernement examine, ou plus exactement il a chargé deux ministres d’examiner les circonstances dans lesquelles les contrats sont attribués, non seulement à McKinsey, mais aussi à d’autres. Comme j’ai pu le lire — et comme nous le savons tous —, cela fait également l’objet d’une enquête par un comité de la Chambre. Le gouvernement attend avec impatience les résultats de ces deux processus pour s’assurer que les fonds publics sont utilisés de façon appropriée et dans l’intérêt supérieur des Canadiens.

Les mouvements transfrontaliers au chemin Roxham

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Monsieur le leader, j’aimerais parler de nouveau des gens qui entrent au Canada illégalement en passant par le chemin Roxham.

La semaine dernière, j’ai dit qu’on avait appris que des membres de la Garde nationale des États-Unis avaient distribué gratuitement des billets d’autobus à des demandeurs d’asile qui se trouvaient à Manhattan afin qu’ils puissent se rendre plus près de la frontière canado-américaine. Vendredi dernier, monsieur le leader, nous avons appris que non seulement des billets d’autobus sont fournis, mais que, dans le Nord de l’État de New York, des agents frontaliers des États-Unis vont jusqu’à conduire des demandeurs d’asile jusqu’à la frontière en échange d’argent lorsqu’ils ne sont pas en fonction. L’Agence des services frontaliers du Canada a confirmé aux médias qu’elle est au courant de la situation, monsieur le leader.

(1510)

La semaine dernière, je vous ai demandé depuis combien de temps le gouvernement Trudeau savait que des billets d’autobus étaient distribués gratuitement. Aujourd’hui, j’aimerais aussi savoir depuis combien de temps le gouvernement est au courant que certains agents frontaliers des États-Unis font ce dont je viens de parler. Que fera le gouvernement pour remédier à cette situation, monsieur le leader? J’espère pouvoir obtenir une réponse avant 2024.

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question. Le gouvernement est bien au fait des récents rapports selon lesquels des lignes d’autocar américaines amènent des migrants vers des points d’entrée irréguliers. Je ne sais pas à quel moment il en a pris connaissance, mais je vais me renseigner.

Le gouvernement est résolu à préserver l’intégrité de notre frontière et la sécurité de notre pays, comme je l’ai mentionné à plusieurs reprises, tout en maintenant un système de protection des réfugiés juste et compatissant.

Que fait le gouvernement? Il continue de travailler avec les États‑Unis et ses partenaires internationaux pour s’attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et pour continuer à promouvoir les voies régulières pour entrer au Canada de manière ordonnée et appropriée.

Il y a beaucoup plus à faire. Le gouvernement le sait. Il continue de travailler avec ses homologues des États-Unis — avec le gouvernement américain — pour moderniser l’Entente sur les tiers pays sûrs.

Le sénateur Plett : Il semble en effet qu’ils travaillent avec les États-Unis sur cette question. Ils autorisent les douaniers américains à conduire les immigrants illégaux à la frontière, et ces derniers peuvent la traverser à pied. Donc, oui, l’actuel gouvernement est très complice des Américains, ce qui leur est d’une grande utilité.

Monsieur le leader, de nombreux Canadiens, en particulier dans votre province, le Québec, ne sont nullement persuadés que le gouvernement Trudeau puisse supprimer l’échappatoire qui se trouve dans l’Entente sur les tiers pays sûrs ou s’attaquer aux énormes arriérés du ministère de l’Immigration dans le cas des personnes qui attendent de venir illégalement au Canada.

La GRC a intercepté plus de 39 000 personnes au chemin Roxham l’an dernier et rien n’indique que ce nombre diminuera en 2023.

Monsieur le leader, la semaine dernière, vous avez dit que le premier ministre faisait preuve de transparence, d’ouverture et d’honnêteté envers les Canadiens en admettant que le dossier du chemin Roxham ne sera pas résolu lorsqu’il rencontrera le président Biden.

Au lieu d’admettre l’échec un mois avant la tenue de la réunion, pourquoi le premier ministre ne s’emploie-t-il pas à réparer ce gâchis?

Le sénateur Gold : Avant de répondre à votre question, sénateur, je dois d’abord préciser que dire que le gouvernement du Canada est « complice » de décisions prises à Manhattan, ou ailleurs, par des individus se trouvant en territoire américain et assujettis à la législation américaine est extrême, même dans le contexte de la période des questions.

Le gouvernement collabore avec les États-Unis pour moderniser l’Entente sur les tiers pays sûrs. Je répète pour la énième fois que fermer le chemin Roxham n’est pas la solution. C’est l’opinion du gouvernement du Canada, mais aussi celle de nombreux commentateurs et observateurs. Le gouvernement fait ce qu’il faut pour régler ce problème en collaboration avec les États-Unis et la Province de Québec, et il ne baissera pas les bras.

La sécurité publique

La conduite avec facultés affaiblies par la drogue

L’honorable Yonah Martin (leader adjointe de l’opposition) : Monsieur le leader, Sécurité publique Canada a publié récemment son rapport annuel sur les tendances de la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. Le rapport indique qu’en 2021, la police a fait état de 7 454 incidents de conduite avec facultés affaiblies par la drogue, ce qui représente une hausse de près de 60 % de ce genre d’incidents depuis 2018, lorsque le cannabis a été légalisé.

Le rapport révèle que les personnes qui consomment quotidiennement le cannabis sont plus susceptibles de croire qu’il ne diminue pas les facultés liées à la conduite automobile. Seulement 25 % des Canadiens croient qu’il est très probable qu’ils seront arrêtés s’ils conduisent sous l’effet du cannabis.

Le rapport souligne une étude menée en Colombie-Britannique et publiée l’année dernière dans le New England Journal of Medicine, qui a montré que les personnes blessées alors qu’elles conduisaient avec les facultés affaiblies par la drogue ont des concentrations de THC plus élevées dans leur sang depuis la légalisation.

Monsieur le leader, de nombreuses préoccupations soulevées par nos collègues pendant l’étude du projet de loi C-45 et du projet de loi C-46 se sont réalisées. Comment le gouvernement répond-il aux conclusions du rapport?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je ne connais pas la réponse du gouvernement au rapport.

Voici ce que je peux vous répondre : d’abord, la conduite avec facultés affaiblies par la drogue était un problème qui existait avant la légalisation du cannabis. Personne n’a présumé un seul instant, au Sénat ou ailleurs, que la légalisation éliminerait ce problème.

Plusieurs choses ont changé depuis. Une attention accrue est accordée à la détection de la conduite avec facultés affaiblies, surtout la conduite avec facultés affaiblies par la drogue. On peut espérer que des poursuites rigoureuses sont engagées dans les cas où les preuves attestent une telle chose. Bien sûr, il y a aussi, du moins dans certaines régions, des tests plus avancés pour détecter si une personne a conduit avec les facultés affaiblies par la drogue.

C’est un problème grave. C’est pourquoi le gouvernement a apporté des modifications au Code criminel, ce qui a aidé les forces de l’ordre à détecter les personnes qui auraient conduit après avoir consommé du cannabis et des substances connexes.

Le gouvernement, en collaboration avec les provinces et les territoires, continuera à faire ce qu’il peut pour assurer la sécurité des Canadiens sur la route.

Madame la sénatrice, le gouvernement n’est pas d’avis que la légalisation du cannabis est à l’origine de ce problème certes très grave, qui compromet la sécurité des Canadiens.

La sénatrice Martin : Parlant de tests, ce rapport indique aussi que, tandis que le nombre d’incidents liés à la conduite avec facultés affaiblies par la drogue a augmenté, le nombre d’agents ayant reçu une formation en reconnaissance de drogues, lui, a diminué. En 2021, au Canada, il y avait 68 agents de moins que l’année précédente qui possédaient cette formation.

Monsieur le leader, à cause de la pandémie de COVID-19, on a imposé une limite au nombre d’agents pouvant recevoir une formation menant à la certification dans ce domaine.

Pourriez-vous vérifier si ces limites ont été levées et nous transmettre la réponse? Que compte faire votre gouvernement pour veiller à ce que davantage d’agents reçoivent cette formation et soient présents dans nos collectivités partout au pays?

Le sénateur Gold : Je ne manquerai pas de m’informer à ce sujet. Merci de votre question.

Le revenu national

La Prestation canadienne d’urgence

L’honorable Donald Neil Plett (leader de l’opposition) : Il y a environ trois semaines, monsieur le leader, le commissaire de l’Agence du revenu du Canada a déclaré à un comité de l’autre endroit qu’il ne « vaudrait pas la peine » d’enquêter davantage sur les 15,5 milliards de dollars versés aux bénéficiaires de la subvention salariale.

Pour mettre les choses dans leur contexte, 15,5 milliards de dollars permettraient de payer les nouvelles dépenses — annoncées la semaine dernière — pour les services de santé provinciaux pendant plus de trois ans.

Je pense que les Canadiens de la classe moyenne dont le premier ministre aime parler seraient mystifiés d’apprendre que des milliards de dollars de leurs impôts sont considérés comme sans importance par le gouvernement.

La semaine dernière, le directeur parlementaire du budget a dit au Comité des finances nationales que cette déclaration était déconcertante, et je suis assez d’accord avec lui.

Pourquoi le gouvernement Trudeau ne croit-il pas que ces efforts en valent la peine?

L’honorable Marc Gold (représentant du gouvernement au Sénat) : Je vous remercie de votre question.

Si j’ai bien compris les fondements factuels de la question, ce n’est pas le gouvernement qui a fait cette déclaration, mais le représentant de l’Agence du revenu du Canada.

Quoi qu’il en soit, le gouvernement ne considère pas qu’il s’agit d’une somme négligeable — c’est une somme réelle et importante. Dans le cadre de l’instauration de la Prestation canadienne d’urgence et de la poursuite des personnes qui l’ont réclamé à tort, le gouvernement doit faire une analyse coûts-avantages quant aux chances de réussite et aux efforts à déployer. Je suis persuadé que ces décisions seront prises de manière responsable.

Le sénateur Plett : Monsieur le leader, en mai 2020, je vous ai demandé pourquoi le gouvernement Trudeau avait donné l’ordre aux fonctionnaires d’ignorer les cas potentiels de fraude et de verser les prestations d’urgence, même lorsqu’ils soupçonnaient qu’il y avait des irrégularités. À l’époque, 200 000 demandes auraient été signalées pour cause de fraude possible.

(1520)

Vous avez dit :

Plus tard — et le gouvernement est bien déterminé à y veiller —, au moment de la production des déclarations de revenus l’an prochain, on s’occupera de tous les cas d’argent versé à des personnes non admissibles, à la suite d’une erreur de bonne foi ou d’une fraude. Cet argent devra être remboursé. Des sanctions seront imposées dans les cas de fraude.

Ce sont les mots que vous avez employés.

Monsieur le leader, à l’époque, le gouvernement Trudeau avait dit qu’on s’en occuperait plus tard. Maintenant, votre gouvernement dit qu’il ne s’en occupera pas du tout.

Monsieur le leader, des millions de Canadiens devront bientôt faire leurs déclarations de revenus. Ferez-vous preuve de la même souplesse envers ceux qui devront de l’argent ou qui commettront des erreurs?

Le sénateur Gold : Merci de votre question. Le gouvernement ne fait pas preuve d’inaction. Le gouvernement a entamé et poursuit des enquêtes à ce sujet, et il continuera de le faire de façon appropriée.


ORDRE DU JOUR

Les travaux du Sénat

L’honorable Raymonde Gagné (coordonnatrice législative du représentant du gouvernement au Sénat) : Honorables sénateurs, conformément à l’ordre adopté le 7 décembre 2021, je souhaite aviser le Sénat que la période des questions avec l’honorable Joyce Murray, c.p., députée, ministre des Pêches, des Océans et de la Garde côtière canadienne, aura lieu le 7 mars 2023, à 14 h 30.

[Français]

Projet de loi sur la prestation canadienne pour les personnes handicapées

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Cotter, appuyée par l’honorable sénateur Woo, tendant à la deuxième lecture du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’honorable Éric Forest : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet du projet de loi C-22, car les conditions de vie des personnes en situation de handicap me tiennent à cœur et parce que l’on a pris note de plusieurs problèmes liés à l’intervention gouvernementale dans ce domaine. Je serai bref afin de ne pas retarder indûment l’étude de ce projet de loi, qui bénéficie d’un large appui tant à la Chambre des communes que dans la société civile.

Je tiens d’abord à reconnaître les efforts du gouvernement en vue de mettre en place un cadre législatif entourant la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap (PCPSH), un soutien nécessaire pour les Canadiennes et les Canadiens qui sont en âge de travailler, mais qui ont besoin d’une aide supplémentaire pour surmonter les difficultés liées à la pauvreté. Malgré les nombreux programmes de soutien offerts par les différentes instances gouvernementales, les personnes en situation de handicap, en particulier celles qui sont en âge de travailler, restent vulnérables à la pauvreté.

Parmi les 4,1 millions de personnes handicapées en âge de travailler au Canada, deux fois plus vivent dans la pauvreté comparativement aux personnes sans handicap. Il s’agit d’un taux de 22,5 % par comparaison à 11,6 %. Les personnes atteintes d’incapacités plus graves sont particulièrement touchées par cette réalité, car elles sont moins susceptibles de travailler et plus susceptibles de dépendre de l’aide sociale. Les données proviennent de l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017 et du seuil de la pauvreté tel qu’il a été mesuré par le panier de consommation de 2018.

L’explosion du coût des logements et de l’épicerie ainsi que l’augmentation du coût de la vie en général touchent particulièrement les plus vulnérables. On comprend que les personnes en situation de handicap sont encore plus affectées, car elles doivent assumer des coûts supplémentaires liés à leur condition. Il est malheureusement bien connu que le filet social canadien est particulièrement mal adapté pour aider les personnes en situation de handicap.

En 2018, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a produit un rapport très critique à l’égard du crédit d’impôt pour les personnes handicapées et du Régime enregistré d’épargne-invalidité. Tout comme le mouvement Le handicap sans pauvreté, je suis optimiste, mais prudent, face à cette loi-cadre, car les modalités de la prestation seront adoptées par décret, ce qui laisse beaucoup de place à la spéculation.

J’aimerais aborder trois enjeux qui me semblent importants. Parlons d’abord de l’admissibilité. La définition d’incapacité a évolué, tout comme la mesure de la sévérité de l’incapacité. Malheureusement, les limites administratives peuvent avoir des impacts importants sur les bénéficiaires.

Pour avoir droit au crédit d’impôt pour les personnes handicapées, par exemple, l’incapacité doit être présente pour une période continue de 12 mois. Les personnes qui souffrent de sclérose en plaques savent que les symptômes de cette maladie chronique dégénérative varient d’un mois à l’autre. Je cite cet exemple pour illustrer la complexité de circonscrire l’incapacité d’un individu. Pour déterminer les handicaps et les obstacles donnant accès à la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap, le projet de loi C-22 renvoie simplement aux définitions de l’article 2 de la Loi canadienne sur l’accessibilité, qui, comme on le sait, sont très problématiques à certains égards.

Je n’ai pas de solution concrète à proposer à ce moment-ci. J’aimerais toutefois souligner que le Comité permanent des ressources humaines de la Chambre des communes a adopté en avril 2022 un rapport recommandant au gouvernement :

[…] d’envisager la possibilité de codifier toutes les personnes qui reçoivent un soutien provincial pour leur handicap en tant que personnes handicapées afin de faciliter le paiement d’une future prestation pour une personne handicapée [...]

Je ne suis pas certain de saisir la pleine mesure des implications de cette recommandation. Je crois toutefois qu’il vaut la peine d’explorer cette proposition afin de simplifier l’accès à la Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap. Cela constitue, à mon avis, un enjeu majeur.

Qu’est-ce qu’un revenu minimum acceptable? Voilà un autre enjeu et voilà l’éléphant dans la pièce qu’on nous demande d’ignorer. Quel supplément au revenu devrait offrir la nouvelle prestation? Nous savons que, d’une part, le Supplément de revenu garanti permet de percevoir un revenu de 1 500 $ par mois. D’autre part, en Ontario, un projet pilote permet aux personnes en situation de handicap de recevoir 1 915 $ par mois. L’assurance-emploi offre jusqu’à 2 600 $ par mois. Nous savons aussi que, pendant la pandémie, le gouvernement a reconnu que la prestation minimale devait être de 2 000 $ par mois.

Inclusion Canada, qui regroupe plus de 300 associations locales à l’échelle nationale, recommande que la nouvelle prestation permette au minimum de gagner un revenu de base de 2 200 $ par mois, ce qui constitue le seuil minimal de revenu qu’a reconnu le gouvernement fédéral pendant la pandémie, en plus de 10 % pour couvrir les dépenses supplémentaires liées aux limitations fonctionnelles des personnes vivant avec un handicap. Lorsque l’on considère que la mesure du faible revenu au Canada est d’environ 2 100 $, cette demande me paraît plus que raisonnable. Bien sûr, il faudra veiller à ce que ce nouveau programme s’arrime convenablement aux autres programmes de revenus fédéraux et provinciaux, afin d’éviter que cette prestation ne finisse dans les coffres des divers ordres de gouvernement.

Le troisième enjeu important est le problème des non-déclarants. Je l’ai d’ailleurs évoqué la semaine dernière. Comme vous le savez, la réduction de la pauvreté est étroitement liée à la production de la déclaration de revenus, car bon nombre de crédits et de prestations dépendent du dépôt annuel d’une déclaration de revenus. Malheureusement, on note que plus les familles sont pauvres, plus elles sont marginalisées et plus elles ont tendance à ne pas produire de déclaration de revenus.

Selon une étude réalisée en 2020 par deux professeurs de l’Université Carleton, de 10 % à 12 % des Canadiens omettent de produire une déclaration de revenus. Les professeurs estiment que les avantages perdus pour les non-déclarants en âge de travailler s’élevaient à environ 1,7 milliard de dollars en 2015. En 2001, on a appris qu’au moins 270 000 personnes âgées, parmi les plus démunies, ne touchaient pas le Supplément de revenu garanti, alors qu’elles y avaient pourtant droit. Un comité parlementaire avait alors révélé que le ministère des Ressources humaines était au courant du problème depuis 1993, mais n’avait à peu près rien fait pour rejoindre les ayants droit, permettant ainsi au gouvernement fédéral d’économiser plus de 3 milliards de dollars sur le dos des Canadiens et Canadiennes les plus fragilisés.

Pour éviter que des Canadiens à faible revenu ne soient privés de prestations gouvernementales, y compris la nouvelle Prestation canadienne pour les personnes en situation de handicap, je crois qu’il est essentiel de talonner le gouvernement afin qu’il fasse tout en son pouvoir pour favoriser la production des déclarations de revenus, en particulier celle des personnes fragilisées financièrement.

Permettez-moi de vous citer quelques exemples. Depuis plus de 45 ans, le gouvernement fédéral soutient le Programme communautaire des bénévoles en matière d’impôt pour appuyer les organismes communautaires qui aident les Canadiens à produire leur déclaration de revenus. Or, ce programme connaît des ratés.

(1530)

L’ombudsman des contribuables a produit une série de recommandations en vue de bonifier la formation des bénévoles, favoriser la transmission électronique des déclarations et améliorer la notoriété des comptoirs d’aide.

Il y a un autre chantier : dans le discours du Trône du 23 septembre 2020, le gouvernement s’est engagé à mettre en place :

[...] un système gratuit de production automatisée des déclarations d’impôt pour les déclarations simples afin que les citoyens reçoivent les prestations dont ils ont besoin [...]

— et auquel ils ont droit.

Un projet pilote destiné aux personnes à faible revenu dont la situation financière est inchangée d’une année à l’autre a été mis en place avant la pandémie. Le service consiste à préremplir un formulaire et à demander ensuite aux contribuables d’en confirmer le contenu par téléphone. Il est temps de passer à la deuxième vitesse et d’étendre ce projet de façon universelle.

Enfin, je crois qu’il faudrait demander à l’Agence du revenu du Canada d’estimer annuellement le nombre de Canadiens de 18 ans et plus qui ne produisent pas de déclaration de revenus, un peu comme le proposait le sénateur Downe relativement à l’évitement fiscal. Il est possible de le faire en croisant le nombre de déclarations de revenus reçues avec les données de certaines études de Statistique Canada, comme l’ont fait les universitaires de l’Université Carleton. Ces données permettraient de mieux cibler des moyens de rejoindre les non-déclarants et permettraient également d’évaluer les efforts du gouvernement en vue de rejoindre ces ayants droit.

L’essentiel de mon message aujourd’hui est de féliciter le gouvernement pour cette nouvelle prestation qui a le potentiel de sortir de la pauvreté des milliers de personnes vivant avec un handicap. Cependant, il est important de noter que la mise en place de cette prestation n’est qu’une première étape. Il est essentiel de continuer à travailler ensemble pour améliorer significativement la vie des personnes handicapées en s’assurant que les ayants droit reçoivent les prestations qui leur sont dues.

Je suis convaincu que cette prestation pourrait être un catalyseur vers une société plus inclusive, plus équitable et plus solidaire. Si l’on s’assure de bien calibrer le programme, il pourrait faire une grande différence dans la vie des personnes qui sont parmi les plus marginalisées au pays.

Merci.

[Traduction]

L’honorable Mary Coyle : Honorables sénateurs, je vous souhaite une bonne Saint-Valentin.

Je prends la parole sur le territoire non cédé du peuple algonquin anishinabe pour parler du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées, une prestation qui, on nous l’a promis, devrait changer la vie de toute une génération.

Honorables sénateurs, je voudrais commencer mon discours en racontant l’histoire de ma famille.

Quand j’avais 10 ans, ma mère, Betty, était enceinte. Nous étions six enfants et nous avions tous très hâte. Les trois sœurs voulaient une petite sœur et les trois frères, un petit frère. À la Saint-Jean-Baptiste, en 1965, mon petit frère John Patterson est né, et ce qui comptait pour nous au bout du compte, c’était que notre famille accueillait un adorable petit bébé. J’avais l’impression que ma mère avait eu un enfant rien que pour moi. J’étais aux anges. Johnny était adorable et tellement joyeux. Je jouais avec lui et je m’occupais de lui constamment. Je l’adorais, et c’est encore le cas.

Mon frère Johnny était un enfant adorable et actif. Il était brillant, drôle, athlétique et extraverti. Johnny a obtenu un diplôme d’études secondaires et il a fait des études dans divers domaines : la télédiffusion, les loisirs et, plus tard, l’informatique. Il a travaillé dans le secteur de l’hébergement, notamment à Banff, il a travaillé en garderie et il a fait de la radio, du théâtre et de l’improvisation.

Au fil de temps, alors que j’avais déjà quitté le foyer familial pour fonder ma propre famille, mon frère cadet adoré a développé, à partir de l’âge de 14 ans, de graves problèmes de santé chroniques, des problèmes de santé mentale. Il a fallu des années avant d’en arriver aux bons diagnostics et aux bons traitements. Évidemment, ce fut une période très houleuse et souvent douloureuse pour Johnny, alors qu’il tentait de terminer ses études, de travailler, de payer ses factures, d’entretenir de bonnes relations et de construire sa vie comme le souhaite chacun de nous. C’était simplement très difficile et parfois impossible pour Johnny en raison de son état de santé.

Comme bien des Canadiens, Johnny est atteint du trouble bipolaire et souffre d’anxiété grave. Dans son cas, ces maladies sont très débilitantes. Aujourd’hui, ce qui occupe Johnny à temps plein est, disons-le franchement, de demeurer en santé, et je peux vous dire qu’il y travaille assidûment. Il fait du bénévolat dans la communauté, visite notre mère âgée de près de 96 ans, pratique la natation pour se garder en forme et travaille à entretenir ses relations avec un cercle de parents et d’amis proches. Johnny est une personne gentille et bienveillante qui a eu la malchance de développer un handicap très difficile à gérer.

Johny avait de plus en plus de mal à conserver un emploi — c’est plutôt difficile à faire quand on ne peut pas dormir la nuit et qu’on éprouve d’autres symptômes graves d’anxiété et de dépression. On l’a d’abord jugé inadmissible au Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées, mais sa demande a finalement été approuvée après une hospitalisation en 2001. Ce programme verse 1 230 $ par mois à une personne seule comme Johnny. Dans ma province, la Nouvelle-Écosse, il devrait vivre avec 950 $. Même si ce modeste soutien du revenu est le bienvenu, Johnny dit que le stress financier lié à sa prestation d’invalidité a des répercussions sur sa santé mentale.

Chers collègues, il est éprouvant de ne pas avoir assez d’argent pour couvrir ses besoins essentiels. Le projet de loi C-22 et la prestation canadienne pour les personnes handicapées visent à mettre fin à l’insécurité financière des personnes comme mon frère Johnny ou certains de vos proches et à réduire la pauvreté qui est disproportionnellement élevée chez les Canadiens handicapés.

Ce projet de loi vise également à restaurer la dignité humaine. Mon frère vous dirait qu’il est difficile de se débarrasser des stigmates qui entourent la santé mentale. Johnny ressent toujours de la honte et de la culpabilité, car il pense que sa situation est en quelque sorte de sa faute.

Honorables sénateurs, la prestation canadienne pour les personnes handicapées apportera un soutien matériel indispensable pour les gens comme Johnny, et elle pourrait également leur envoyer un signal important indiquant que notre société comprend, respecte et valorise les personnes vivant avec un handicap.

Le sénateur Cotter, le parrain du projet de loi C-22, nous a présenté de façon éloquente et exhaustive les éléments essentiels de ce projet de loi crucial lors de son discours à l’étape de la deuxième lecture jeudi dernier.

Le projet de loi C-22 est une loi-cadre qui établit la prestation canadienne pour les personnes handicapées. Il s’adresse aux personnes en âge de travailler dont le revenu est faible et qui ont un handicap quelconque. Il constitue la pierre angulaire du Plan d’action pour l’inclusion des personnes en situation de handicap du Canada, ainsi que sa principale priorité.

Le projet de loi prévoit que la plupart des éléments conceptuels de la prestation seront mis en œuvre au moyen de règlements, lesquels seront élaborés en collaboration avec des personnes handicapées. Comme le dit si bien la maxime, nihil de nobis, sine nobis, ce qui signifie que « rien de ce qui nous concerne ne doit se faire sans nous ». On ne peut prendre aucune décision sur les Canadiens handicapés sans les consulter.

Chers collègues, quand j’ai étudié la mesure législative, j’ai cherché à savoir comment cette nouvelle prestation est liée à des politiques et à des initiatives connexes comme le revenu de base garanti, l’aide médicale à mourir et la nouvelle entente nationale sur les soins de santé. Durant ma première année au Sénat, je me suis jointe au caucus anti-pauvreté composé de représentants de tous les partis, qui était dirigé par notre ancien collègue, le sénateur Art Eggleton. Nous avons étudié un certain nombre de mesures visant à réduire la pauvreté, y compris le projet pilote sur le revenu de base de l’Ontario, qui a maintenant été annulé.

Lorsqu’on lui a demandé au cours d’une de nos réunions si le gouvernement envisageait de jouer un rôle dans l’établissement d’un revenu de base garanti suffisant pour les Canadiens, le ministre Duclos, alors ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social, a expliqué très clairement que le gouvernement avait l’intention de concentrer ses efforts de réduction de la pauvreté sur des groupes ciblés de la population, c’est-à-dire les enfants avec l’Allocation canadienne pour enfants et les aînés vulnérables avec le Supplément de revenu garanti.

Nous savons que la prestation canadienne pour les personnes handicapées est calquée sur le Supplément de revenu garanti pour les aînés. Or, à l’heure actuelle, le montant maximal du Supplément de revenu garanti pour les retraités célibataires est de 1 026 $. Nous ne savons pas encore quel sera le montant de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Honorables sénateurs, lorsque j’ai pris la parole au sujet du projet de loi C-7 sur l’aide médicale à mourir, j’ai cité une lettre émanant de défenseurs des droits des personnes handicapées qui disait ceci :

[...] il existe un risque véritable que les personnes qui n’ont pas de réseau de soutien adéquat constitué de parents ou d’amis, qui sont plutôt âgées, qui vivent dans la pauvreté ou qui sont peut-être marginalisées davantage en raison de leur race, de leur origine autochtone, de leur identité de genre ou de leur statut, seront plus vulnérables aux pressions en vue d’accéder à l’aide médicale à mourir.

Ces craintes sont largement répandues.

Chers collègues, un certain nombre de défenseurs des personnes handicapées ont indiqué que la prestation canadienne pour les personnes handicapées, si elle est bien conçue et dotée de ressources appropriées, pourrait atténuer considérablement ces craintes concernant l’aide médicale à mourir.

(1540)

Le troisième aspect à prendre en considération est la nouvelle entente en matière de santé actuellement négociée entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux et territoriaux. Sœur Elizabeth Davis, qui a coprésidé l’équipe qui a produit le plan de mise en œuvre de l’entente en matière de santé pour la province de Terre-Neuve, a dit à CBC que les nouveaux fonds proposés par le gouvernement fédéral permettraient d’exécuter la moitié de ce plan. Cependant, si on ne trouve pas de façons d’exécuter l’autre moitié, on ne pourra pas mener le plan à bien.

Or, l’autre moitié, qui porte sur les déterminants sociaux en santé, est peut-être la plus importante et celle qui demande le plus d’attention. Le plan indique notamment que les facteurs sociaux, économiques et environnementaux ont une incidence sur 60 % des résultats en santé, tandis que le système de soins de santé comme tel compte pour 25 %, les 15 % restants étant attribuables à la constitution génétique d’une personne. Sœur Davis affirme que la réduction de la pauvreté est cruciale. Encore une fois, cela a un lien évident avec la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Honorables collègues, les arguments en faveur de la création d’une prestation pour les Canadiens handicapés dans le besoin sont à la fois clairs et convaincants. Nous savons que 22 % des Canadiens ont un handicap; dans ma province, la Nouvelle-Écosse, le pourcentage s’élève à 30 %. Quarante pour cent d’entre nous ont une personne handicapée dans leur famille. Vous avez entendu parler de mon frère, Johnny. Nous savons qu’au Canada, 41 % des personnes qui vivent dans la pauvreté sont handicapées, 10 % des aînés handicapés vivent dans la pauvreté; et les personnes handicapées comptent pour plus de 50 % des personnes souffrant d’insécurité alimentaire.

Comme le disait un grand titre du journal The Province de Vancouver le 9 février, un diagnostic d’invalidité mène à la pauvreté. C’est une honte nationale, chers collègues.

Le mouvement Le handicap sans pauvreté a soumis, à propos du projet de loi C-22, un mémoire qui fournit encore plus de détails sur la pauvreté que vivent les personnes handicapées. Le mouvement souligne que la pandémie a aggravé la pauvreté parmi ses membres et que l’inflation et la crise du logement touchent de façon disproportionnée les Canadiens handicapés.

Chers collègues, le préambule de la Loi sur la réduction de la pauvreté affirme que « le Canada aspire à être un chef de file mondial en matière d’élimination de la pauvreté »; la loi contient aussi une cible de réduction de la pauvreté ambitieuse, soit une réduction de 50 % par rapport au taux de pauvreté de 2015, d’ici 2030.

Chers collègues, dans ce contexte où l’aspiration du Canada est clairement exprimée et où il est évident qu’il faut créer, à l’intention des Canadiens handicapés, une prestation dont ils ont grandement besoin, la communauté des personnes handicapées nous demande de faire notre part afin que le projet de loi C-22 puisse recevoir la sanction royale le plus tôt possible. Les personnes handicapées ont besoin d’une aide financière, et ce, immédiatement.

Le projet de loi C-22 a été adopté à l’unanimité à la Chambre après une étude détaillée et des amendements. Notre tâche n’est pas de retarder indûment le projet de loi; toutefois, en même temps, nous devons travailler efficacement pour nous acquitter de notre responsabilité d’adopter une loi permettant la création d’une prestation canadienne pour les personnes handicapées qui soit robuste et qui aura les résultats escomptés, à savoir de réduire considérablement la pauvreté et de soutenir la sécurité financière des personnes handicapées. Autrement dit, une loi qui répond clairement aux attentes des personnes handicapées.

Elles réclament du gouvernement fédéral qu’il empêche les provinces et les territoires — ainsi que les sociétés d’assurance-invalidité privées — de récupérer les prestations, et qu’il veille à ce que la prestation entre en vigueur et que les versements aux bénéficiaires se fassent dans un délai d’un an. Il doit y avoir des délais stricts pour chaque étape du processus d’élaboration et de mise en œuvre.

Les personnes handicapées demandent également au gouvernement fédéral de s’assurer que le montant des prestations est suffisant pour que les bénéficiaires puissent dépasser le seuil de pauvreté officiel; d’établir des critères d’admissibilité clairs, équitables et élaborés en consultation avec les personnes handicapées; d’élaborer un processus à deux volets pour déterminer l’admissibilité afin que les personnes admissibles aux prestations provinciales et territoriales n’aient pas à prouver à nouveau qu’elles ont un handicap et qu’elles vivent dans la pauvreté; de s’assurer que le groupe cible de personnes en âge de travailler n’exclut pas les aînés handicapés — d’ailleurs, je suis une aînée et je travaille encore; et de s’assurer que toutes les personnes qui pourraient être admissibles soient contactées de façon proactive. Les plus vulnérables ne produisent pas toujours de déclaration de revenus, comme nous avons entendu le sénateur Forest le mentionner, et certains n’ont peut-être même pas de numéro d’assurance sociale; il faut leur tendre la main.

En outre, on demande au gouvernement de s’assurer que le droit de faire appel en cas de refus existe, qu’il y a un tribunal à cet effet, et que des mécanismes de plaintes sont en place; et d’inclure les détails cruciaux dans le projet de loi lui-même plutôt que de laisser les règlements énoncer tous les détails.

C’est ce que beaucoup nous demandent. L’organisme Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance qualifie le projet de loi C-22 de projet bien intentionné, mais faible. Il souligne que nous ne savons toujours pas quel sera le montant de la prestation, qui y sera admissible et quand le gouvernement commencera à la verser. D’autres expriment une plus grande confiance dans le gouvernement et dans le processus de codéveloppement promis.

Honorables sénateurs, mon frère Johnny avait 55 ans lorsque l’on a promis de créer la prestation canadienne pour les personnes handicapées dans le discours du Trône de septembre 2020. Dans quatre mois, il aura 58 ans. Déjà presque trois ans se sont écoulés depuis cette promesse. Honorables sénateurs, renvoyons ce projet de loi transformateur au comité pour que nos collègues puissent examiner si — et comment — il peut mieux tenir en temps opportun ses importantes promesses de sécurité financière, de réduction de la pauvreté et de dignité — des promesses faites à mon frère Johnny et à d’autres Canadiens vivant avec un handicap. Honorables sénateurs, assurons-nous que le changement générationnel promis s’entame dès maintenant.

Merci, wela’lioq.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marty Deacon : Acceptez-vous de répondre à une question, honorable sénatrice?

La sénatrice Coyle : Volontiers.

La sénatrice M. Deacon : Merci. Vous avez évoqué l’importance et la manière d’atteindre les personnes possiblement marginalisées à qui il est très difficile d’avoir accès. Je tiens seulement à dire que c’est une priorité. Après l’adoption du projet de loi, quand deux ou trois années se seront écoulées, quels seraient les éléments dans l’examen qui montreraient, selon vous, que le programme fonctionne bien? Quelles sont vos attentes quand vous pensez au processus d’examen?

La sénatrice Coyle : Je pense que cette question aurait aussi pu être adressée à mon collègue, le sénateur Forest, qui a abordé les problèmes d’accessibilité au programme pour les Canadiens qui ne produisent pas de déclaration de revenus. Si nous nous fions uniquement à ce système pour accorder la prestation à ceux qui en ont besoin, nous passerons à côté de nombreuses personnes vulnérables. Comme je l’ai mentionné, il y a aussi les personnes qui n’ont même pas de numéro d’assurance sociale et qui ont besoin de cette aide financière plus que quiconque.

Son Honneur la Présidente intérimaire : Le temps est écoulé.

L’honorable Judith G. Seidman : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à titre de porte-parole de l’opposition au sujet du projet de loi C-22, Loi visant à réduire la pauvreté et à renforcer la sécurité financière des personnes handicapées par l’établissement de la prestation canadienne pour les personnes handicapées et apportant une modification corrélative à la Loi de l’impôt sur le revenu.

Je félicite et remercie mon collègue le sénateur Cotter, qui est parrain de ce projet de loi, pour son important travail. J’ai hâte de continuer à collaborer avec lui afin de veiller à l’efficacité et à l’efficience du processus.

La communauté des personnes handicapées s’entend généralement au sujet de l’importance de cette mesure législative, et je comprends parfaitement pourquoi nous devons procéder dans l’urgence.

Au Canada, les antécédents en matière de soutien aux personnes handicapées sont relativement peu nombreux, en particulier à l’échelon fédéral. Dans un article intitulé Disability in Canada: An Historical Perspective, Aldred Neufeldt, professeur émérite au programme d’études en réadaptation communautaire et sur la condition des personnes handicapées à l’Université de Calgary, note que pendant les premières décennies des années 1900, le Québec, puis l’Ontario, ont adopté des lois d’indemnisation des accidents du travail, mais que c’est la guerre qui a incité le gouvernement à créer des services de réadaptation. Après la Deuxième Guerre mondiale, les vétérans revenant au pays ont insisté sur le fait qu’ils avaient le droit d’être traités comme des citoyens pouvant encore contribuer à la société. C’est ainsi que les indemnisations des travailleurs et les allocations aux anciens combattants ont fait partie des premières formes d’indemnisation destinées aux Canadiens ayant certains types de handicaps.

(1550)

Dans son livre, Struggling for Social Citizenship: Disabled Canadians, Income Security, and Prime Ministerial Eras, Michael Prince, professeur titulaire de la chaire Lansdowne en politique sociale à l’Université de Victoria, observe que, bien que l’indemnisation des travailleurs et les allocations aux anciens combattants aient été établies dans le cadre de programmes distincts, la plupart des programmes ultérieurs pour les personnes handicapées, y compris les prestations initiales pour les aveugles, les prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada, l’aide sociale et l’assurance-emploi, font partie de cadres stratégiques plus larges. Comme l’affirme M. Prince : « Ces divers points d’accès et ces différents modèles de programmes donnent lieu à une citoyenneté sociale irrégulière pour les personnes handicapées. »

En effet, dans son étude de 2018 sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées et le régime enregistré d’épargne-invalidité, le Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie a entendu de nombreux témoins parler de la complexité entourant les demandes de participation aux programmes de soutien pour personnes handicapées. Les témoins nous ont exhortés à simplifier et à clarifier les processus relatifs aux mesures de soutien fédérales. Dans notre rapport, nous avons recommandé :

Que le ministre des Finances et le ministre de la Famille, des Enfants et du Développement social travaillent en étroite collaboration avec les autres ordres de gouvernement afin d’harmoniser les processus de demandes relatifs à des programmes de soutien pour personnes handicapées.

Notre rapport recommandait également que les deux ministres établissent « un revenu de base ou un revenu garanti pour les personnes ayant de graves incapacités ».

Un rapport antérieur, intitulé Pauvreté, logement, itinérance : les trois fronts de la lutte contre l’exclusion, a été publié en 2009, toujours par le Comité des affaires sociales et son Sous-comité sur les villes. Le rapport décrit comment la source et le niveau de revenu d’une personne handicapée dépendent de la date et de la cause de l’incapacité et des prestations d’assurances, publiques ou privées, qu’a pu recevoir la personne lorsqu’elle est devenue handicapée.

Le rapport donne l’avertissement suivant :

Compte tenu de la complexité des programmes actuels et leur interaction, trop de personnes [...] peuvent se faire renvoyer d’un « système » à l’autre pour finir par ne pas disposer d’un revenu adéquat, voire n’en avoir aucun.

Ce manque de continuité dans l’admissibilité aux mesures de soutien du revenu pour les personnes handicapées ne fait qu’ajouter encore plus d’incertitude dans la vie des Canadiens.

Le rapport de 2009 recommande également l’élaboration et la mise en œuvre d’un revenu de base pour les personnes ayant une incapacité grave, bien que le revenu de base envisagé par le Sous‑comité sur les villes visait à remplacer le revenu tiré de l’aide sociale provinciale, ce qui aurait permis aux provinces de réaliser des économies substantielles. Lors de son témoignage devant le comité, M. Prince a souligné que ce modèle aurait permis à un demi-million de Canadiens de ne plus dépendre de l’aide sociale provinciale et que les provinces auraient ensuite pu réaffecter des fonds aux services d’aide aux personnes, à l’éducation, aux écoles inclusives, aux parcs et aux services de loisirs qui favorisent l’intégration de tous, aux services d’aide aux familles et au transport en commun.

Ce n’est pas ce que propose le projet de loi C-22. Comme l’a souligné la ministre Qualtrough dans son discours en deuxième lecture à l’autre endroit, cette nouvelle prestation sera un supplément de revenu, et non un revenu de remplacement. Cette prestation ne vise pas non plus à remplacer les mesures d’aide qui existent déjà dans les provinces et les territoires. Lorsqu’elle sera disponible, la prestation canadienne pour les personnes handicapées devrait fournir un revenu mensuel supplémentaire aux personnes handicapées. Il convient toutefois de noter que ce type de programme ne réduira pas les exigences financières des provinces. Une approche différente aurait pu permettre d’investir davantage dans les services destinés aux personnes handicapées.

Le Canada s’est toujours distingué des États-Unis et de la plupart des pays européens pour ce qui est des mesures de soutien pour les personnes handicapées. En effet, au sein de la fédération canadienne, les provinces assument la principale responsabilité des services de santé, de l’éducation et des services sociaux. Selon l’OCDE, le Canada est à la traîne au chapitre des dépenses publiques destinées aux cas d’incapacité, c’est-à-dire d’invalidité, de maladie et d’accident du travail.

Parmi les pays du G7, le Canada se classe au septième rang pour ce qui est des dépenses publiques en matière d’incapacité, en pourcentage du produit intérieur brut total. En effet, le Canada n’y consacre que trois quarts de 1 % de son PIB. Les États-Unis y consacrent 1 % de leur PIB, et le Japon environ autant. Nos homologues européens y consacrent une part beaucoup plus importante de leur PIB : la France, 1,7 %; l’Italie, 1,8 %; le Royaume-Uni, 1,9 %; et l’Allemagne, 2,25 %.

Nous avons l’obligation morale d’en faire plus. Le préambule de la Déclaration universelle des droits de l’homme des Nations unies affirme que :

[...] l’avènement d’un monde où les êtres humains seront libres de parler et de croire, libérés de la terreur et de la misère, a été proclamé comme la plus haute aspiration de l’homme.

Depuis trop longtemps, les personnes handicapées du Canada ne peuvent pas vivre libérées de la misère, une situation aux effets dévastateurs.

Selon l’Enquête canadienne sur l’incapacité de 2017, qui contient les données les plus récentes dont nous disposons, un Canadien sur cinq âgé de 15 ans et plus présentait au moins une incapacité. La probabilité d’avoir une incapacité augmente avec l’âge : 13 % des personnes de 15 à 24 ans avaient une incapacité, alors que ce pourcentage était de 47 % chez les personnes de 75 ans et plus. Il existe également une forte corrélation entre incapacité et pauvreté, comme l’ont souligné toutes les personnes qui ont pris la parole. Ainsi, parmi les Canadiens de 25 à 64 ans, 28 % de ceux qui ont une incapacité sévère vivent dans la pauvreté, alors que ce pourcentage est de 10 % parmi les personnes sans incapacité.

La professeure Deborah Stienstra, titulaire de la Chaire Jarislowsky sur les familles et le travail à l’Université de Guelph, souligne que les personnes handicapées se butent à des obstacles en matière d’éducation et d’emploi, à des coûts élevés notamment pour obtenir les mesures de soutien dont elles ont besoin, et à des obstacles concernant les systèmes de transport, de télécommunication et de santé. Voici ce qu’elle dit :

En plus de favoriser la stigmatisation liée aux handicaps, chacun de ces groupes d’obstacles restreint la possibilité, pour les personnes handicapées, de participer pleinement à la vie citoyenne et peut mener à une vie marquée par la pauvreté et l’exclusion.

Le projet de loi C-22 nous arrive avec des amendements du Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées — le comité HUMA — de l’autre endroit. Il n’offre pas beaucoup de détails — il s’agit de ce qu’on appelle souvent un projet de loi-cadre. Il établit des dispositions générales pour l’administration de la prestation et autorise le gouverneur en conseil à mettre en œuvre la plupart des éléments de conception de la prestation par voie de règlement. Comme l’ont souligné des députés à l’étape de la deuxième lecture, le projet de loi C-22, dans sa version d’origine, était davantage une promesse d’agir qu’une vraie proposition. Grâce aux neuf amendements apportés par le comité HUMA, le projet de loi est amélioré dans une certaine mesure.

Le premier amendement ajoute la définition de « handicap » au projet de loi, la même que celle qui se trouve dans la Loi canadienne sur l’accessibilité.

Le deuxième amendement exige du gouvernement fédéral qu’il rende public tout accord fédéral et provincial-territorial conclu au sujet de la prestation canadienne pour les personnes handicapées.

Le troisième amendement exige que la prestation soit indexée au taux d’inflation.

Le quatrième amendement exige que le processus de demande soit exempt d’obstacles.

Le cinquième amendement exige que, au moment d’établir le montant de la prestation, le gouverneur en conseil tienne compte du seuil officiel de la pauvreté.

Le sixième amendement exige du ministre qu’il dépose à la Chambre des communes, dans les six mois suivant la date d’entrée en vigueur de la loi, un rapport sur le dialogue et la collaboration auprès de la communauté des personnes handicapées et qu’il dépose, dans l’année suivant la date d’entrée en vigueur de la loi, un rapport concernant l’état d’avancement du processus réglementaire.

Le septième amendement précise que le ministre est tenu d’offrir à des personnes handicapées des possibilités de collaborer à l’élaboration et à la conception des règlements.

Le huitième amendement resserre l’échéancier relatif aux examens parlementaires de la loi, faisant passer les échéances de trois ans et cinq ans après l’entrée en vigueur à un an et trois ans après l’entrée en vigueur puis tous les cinq ans par la suite. Enfin, le neuvième amendement fixe la date d’entrée en vigueur au plus tard un an après la sanction royale.

(1600)

Le Comité permanent des ressources humaines, du développement des compétences, du développement social et de la condition des personnes handicapées de la Chambre des communes a fait de l’excellent travail. Lorsque le comité sénatorial étudiera le projet de loi, il sera de notre responsabilité d’examiner ce travail et d’entendre le témoignage d’experts et de parties intéressées pour nous assurer qu’aucun problème n’a été créé par inadvertance et que le projet de loi n’omet rien d’important.

C’est peut-être l’occasion tout indiquée de rappeler à mes honorables collègues que nous nous sommes retrouvés dans une situation comparable il y a à peine trois ans et demi concernant un autre projet de loi d’importance vitale pour la communauté des personnes handicapées : le projet de loi C-81, Loi canadienne sur l’accessibilité. Tout le monde appuyait ce projet de loi à l’unanimité et on nous pressait, un peu comme aujourd’hui, d’adopter le projet de loi sans amendement.

Bien que pratiquement tous les témoins entendus au Comité sénatorial permanent des affaires sociales, des sciences et de la technologie nous aient demandé d’adopter le projet de loi de toute urgence, quelques membres de la communauté des personnes handicapées avaient exprimé des préoccupations à l’égard de certaines omissions. Le comité a estimé que nous pourrions nous concentrer sur quelques amendements clairs qui rehausseraient la valeur du projet de loi C-81 sans en compromettre l’adoption. Bien que l’appui manifesté à l’égard de ce projet de loi était fort, le désir de l’améliorer était encore plus fort. Le Sénat — vous tous, sénateurs — s’est mis d’accord, nous avons adopté le projet de loi modifié à l’étape de la troisième lecture, et la Chambre a accepté tous nos amendements. Il est important de se rappeler de l’essentiel de ces amendements, car cela met en lumière la valeur d’un véritable second examen objectif.

Premièrement, les échéances. Le projet de loi C-81 ne prévoyait aucun échéancier précis pour que le Canada devienne un pays entièrement accessible. Sans échéancier, il n’y a pas de reddition de comptes, les progrès ne peuvent pas être mesurés et les normes risquent de ne jamais être élaborées et promulguées par la loi. Nous avons donc recommandé de fixer l’année 2040 comme date limite pour la mise en œuvre complète des exigences en matière d’accessibilité. Dans le même ordre d’idées, nous avons ajouté un amendement visant à garantir que les mesures d’accessibilité ne soient pas retardées ou reportées en raison de circonstances imprévues, mais qu’elles soient adoptées dès que possible.

Deuxièmement, l’amendement suivant concernait la reconnaissance de langues des signes particulières qui seraient désignées dans le projet de loi comme étant les langues des personnes sourdes. Cela permettait de s’assurer que les personnes sourdes ne seraient pas oubliées et qu’elles auraient un accès équitable à l’information, à la communication, à l’emploi, aux services gouvernementaux, aux transports et aux autres secteurs sous réglementation fédérale. Honorables sénateurs, ces ajouts à un bon projet de loi ne sont pas négligeables.

Pour en revenir à la situation actuelle et au projet de loi C-22, il y a plusieurs questions qu’il sera utile d’examiner en comité. Tout d’abord, le neuvième amendement au projet de loi, qui modifie la date d’entrée en vigueur, mérite une réflexion approfondie. L’organisme Accessibility for Ontarians with Disabilities Act Alliance a publié sur son site Web une réponse aux amendements dans laquelle il fait valoir ce qui suit :

Tel que modifié par le comité HUMA, l’article 14 ne précise pas de date d’entrée en vigueur du projet de loi. L’article 5(2) de la Loi d’interprétation fédérale comble ce vide en faisant entrer le projet de loi en vigueur dès la sanction royale.

Je ne suis pas une spécialiste du domaine législatif, mais j’ai consulté une personne qui l’est, et elle est d’avis que cet amendement pourrait être problématique. Nous devrions accorder l’attention voulue à cet article et le modifier si c’est dans l’intérêt des Canadiens.

Deuxièmement, le comité devrait examiner les programmes de soutien aux personnes handicapées qui sont actuellement offerts au Canada et la façon dont ils pourraient interagir avec cette nouvelle prestation. Jennifer Robson, professeure agrégée et directrice du programme de gestion politique de l’Université Carleton, a dit au Hill Times en septembre 2022 que les programmes de soutien provinciaux et fédéraux ont chacun des définitions différentes du terme « handicap », diverses catégories de prestations et des règles distinctes concernant les autres sources de revenus. Elle a décrit les programmes actuels comme des passoires dans les trous desquelles on tentait d’introduire la nouvelle prestation.

Nous devons nous assurer que le processus de demande des prestations provinciales et fédérales n’est pas excessivement bureaucratique pour empêcher les personnes handicapées d’être laissées pour compte. Il devrait y avoir un processus bien défini de surveillance et de dépôt de plaintes pour interjeter appel d’un refus, d’une réduction ou d’une récupération des prestations, peut-être auprès d’un tribunal ou d’un défenseur des droits des personnes handicapées. L’une des plaintes formulées au Comité sénatorial des affaires sociales sur le crédit d’impôt pour personnes handicapées est que l’Agence du revenu du Canada est chargée du processus d’examen et de traitement des plaintes, mais que son travail laisse à désirer et est extrêmement lent.

Troisièmement, le comité devrait prendre en considération l’avantage d’établir les montants de la prestation en fonction du revenu net du demandeur et non du revenu de son ménage. Louise Bourgeois, présidente du Mouvement personne d’abord de Sainte‑Thérèse, a dit ceci au comité de la Chambre :

Les personnes vivant avec une déficience intellectuelle sont parmi les plus pauvres de notre société. Elles sont aussi plus à risque de vivre de la violence économique. Il sera important que le montant donné aux personnes ne dépende pas du revenu de leur conjoint. Ce montant devra être calculé et remis à la personne individuellement. Après tout, le projet de loi vise à renforcer la sécurité financière des personnes.

Les données de Statistique Canada indiquent également que les personnes handicapées sont plus susceptibles d’être victimes de violence entre partenaires intimes que les personnes qui ne sont pas handicapées. Dans le cadre d’une analyse des données de 2018, Laura Savage, du Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités, de Statistique Canada, note ce qui suit :

Le fait d’avoir une incapacité peut accroître la vulnérabilité de certaines femmes à la violence entre partenaires intimes. Par exemple, les femmes ayant une incapacité pourraient être plus susceptibles de souffrir d’isolement ou de dépendre davantage d’un partenaire intime que celles n’ayant aucune incapacité.

Ces liens de dépendance sont souvent de nature économique.

Lorsque le député du Parti vert Mike Morrice a présenté un amendement au comité de la Chambre pour cibler cette préoccupation, un représentant du ministère lui a souligné que la plupart des prestations fédérales sont fondées sur le revenu familial. La prestation canadienne pour les personnes handicapées permettrait-elle, en particulier, d’accroître la sécurité financière du bénéficiaire afin de favoriser l’autonomie financière? Un amendement pourrait contribuer à tenir compte de cette vulnérabilité.

Dans le même ordre d’idées, une autre question importante concerne le caractère suffisant de la prestation pour les personnes handicapées et la nécessité de définir clairement que la prestation elle-même doit être supérieure au seuil de pauvreté. Le montant de la prestation n’est pas précisé dans le projet de loi actuel, qui laisse au gouverneur en conseil et aux règlements le soin de le fixer. Ce défi a été abordé dans la question que la sénatrice Pate a posée au sénateur Cotter la semaine dernière. Cette question a toutefois été jugée irrecevable à l’autre endroit. Le comité sénatorial devrait se pencher sur le caractère suffisant de la prestation. On peut établir des comparaisons détaillées avec de nombreux pays. En effet, la plupart des pays européens ont une prestation pour les personnes handicapées. La Suisse, la Norvège et le Danemark offrent les prestations mensuelles les plus élevées, et la Norvège offre des prestations universelles, contrairement à de nombreux autres pays, qui n’offrent des prestations qu’aux personnes qui sont sur le marché du travail.

Bien que le comité de la Chambre des communes ait adopté de nombreux amendements utiles et qu’il ait vraiment étoffé cette loi‑cadre, ce projet de loi laisse néanmoins beaucoup de points à régler dans la réglementation. Le gouverneur en conseil, c’est-à-dire la gouverneure générale agissant sur l’avis du Cabinet, est chargé d’élaborer les règlements pour la substance même de la mesure : les critères d’admissibilité, le montant de la prestation, les périodes de paiement, le processus de demande, l’examen ou le réexamen des décisions, les appels, le versement rétroactif des prestations, les demandes faites au nom de personnes incapables de gérer leurs propres affaires, l’application de la loi lorsqu’un demandeur ou un bénéficiaire décède et la désignation des créances.

(1610)

Chers collègues, nous devons tous réfléchir à la grande considération qui est accordée au Cabinet dans le projet de loi. Cette approche restreint le débat au Parlement et ouvre la porte à de futurs changements, non pas par voie législative, mais par des décrets du gouverneur en conseil. De plus, s’il est essentiel que le gouvernement ait l’intention de consulter pleinement la communauté des personnes handicapées pour ce qui est de la teneur et de la mise en œuvre de cette mesure législative, je demeure préoccupée par le peu de détails fournis dans le projet de loi au sujet du processus et des échéances.

Pour conclure, j’appuie les principes du projet de loi C-22, mais je déplore que le cadre présenté soit aussi dégarni. Le gouvernement aurait pu — et aurait dû — faire mieux. Maintenant, honorables sénateurs, accomplissons notre travail et renvoyons le projet de loi au comité. Merci.

[Français]

L’honorable Renée Dupuis : La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Seidman : Oui, bien sûr.

La sénatrice Dupuis : Dans le cadre de l’étude de ce projet de loi par le Comité sénatorial permanent des affaires sociales du Sénat, comme vous l’avez suggéré, ne croyez-vous pas que le comité devrait aussi considérer l’aspect des droits de la personne en relation avec la situation de handicap?

Autrement dit, on dit trouver que c’est dommage et que nous avons une obligation morale de sortir des gens de la pauvreté; cependant, il y a aussi un corps de lois qui dit qu’on n’a pas le droit de faire de la discrimination fondée sur le handicap.

En ce sens, ne croyez-vous pas que le comité devrait aussi examiner la question du point de vue de la discrimination que subissent les personnes qui sont en situation de handicap dans le monde du travail, afin de voir comment cette nouvelle prestation pourrait également permettre de remédier à cette discrimination? Ce n’est pas qu’une obligation morale; il y a une obligation juridique claire dans notre système qui vise à s’assurer que les gens qui veulent exercer un emploi puissent le faire, y compris s’ils sont en situation de handicap.

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Je vous remercie de la question, sénatrice. C’est une question complexe. Elle n’est pas simple et elle exige une profonde réflexion.

Comme je l’ai dit, le projet de loi est extrêmement mince. C’est un projet de loi-cadre qui vise à faire beaucoup de choses et qui promet beaucoup, mais il n’est pas très substantiel et, comme je l’ai dit, bien des détails sont laissés à la discrétion du gouverneur en conseil et de la réglementation.

Je pense que ce sera au comité de convoquer des témoins qui sauront répondre aux questions que vous posez, notamment lorsqu’il s’agira de déterminer comment cette mesure législative permettrait de verser aux personnes handicapées une prestation mensuelle qui leur permettrait de subvenir à leurs besoins quotidiens. Je pense que c’est l’objectif du projet de loi. Je pense que le comité pourrait se pencher sur le genre de détails que vous mentionnez.

[Français]

L’honorable Diane Bellemare : La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une autre question?

La sénatrice Seidman : Oui.

La sénatrice Bellemare : Je vous ai écoutée attentivement, et j’ai lu le projet de loi ainsi que les modifications qui y ont été apportées.

À la lecture du projet de loi, il semble possible qu’une allocation pour les personnes handicapées visant à contrer la pauvreté fasse l’objet d’une entente avec les provinces. Verriez-vous d’un bon œil la possibilité d’offrir un type d’aide qui serait différent d’une province à l’autre, et croyez-vous que c’est une possibilité dans le cadre de ce projet de loi?

[Traduction]

La sénatrice Seidman : Merci, sénatrice. Cela me rappelle la conversation que nous avons eue au sujet des prestations pour soins dentaires, où nous avions reconnu qu’il s’agit d’une situation complexe, car chaque province a des prestations différentes et des critères d’admissibilité différents.

Le gouvernement fédéral a promis qu’il prendrait un engagement individuel avec chaque province. Nous ne savons pas encore en quoi consistera exactement cet engagement.

Lorsque le sénateur Cotter a pris la parole la semaine dernière en tant que parrain du projet de loi, il a présenté la situation très clairement. Il a proposé de mettre son expérience à profit afin d’aider le gouvernement fédéral dans son engagement avec les provinces. Espérons que cela se produira.

L’honorable Chantal Petitclerc : Merci beaucoup pour votre discours, qui était très réfléchi, comme d’habitude.

Je veux connaître votre impression sur un sujet que nous étudierons, je l’espère, en comité. Ce projet de loi prévoit une prestation qui sera destinée aux personnes handicapées en âge de travailler. J’ai lu qu’environ 30 % des personnes handicapées sont plus vieilles que celles qui appartiennent à ce groupe.

Pensez-vous que nous devrions consacrer du temps à cette question pour faire en sorte qu’elles soient elles aussi tirées de la pauvreté?

La sénatrice Seidman : Je vous remercie, sénatrice Petitclerc. Le Comité des affaires sociales s’est déjà penché un peu sur cet enjeu.

Je sais très bien, en fait, que des membres de la communauté des personnes handicapées aimeraient que nous déclarions que le groupe des personnes en âge de travailler va jusqu’à 70 ans au lieu de 65 ans. Il y a des discussions à ce sujet. C’est une question que le comité devrait examiner, comme je l’ai dit.

Il existe des exemples. Comme je l’ai mentionné pendant mon discours, la Norvège offre une prestation universelle. À cet égard, elle se distingue de la plupart des pays, qui offrent plutôt une prestation destinée aux personnes en âge de travailler. C’est une question que le comité devrait examiner, en effet.

L’honorable Hassan Yussuff : La sénatrice Seidman accepterait-elle de répondre à une question?

La sénatrice Seidman : Oui.

Le sénateur Yussuff : L’une de mes plus grandes inquiétudes concernant le projet de loi est liée à la possibilité que les provinces récupèrent une partie de cette prestation.

Comme vous le savez, les provinces administrent leurs propres programmes. Je dirais qu’il y a toujours eu une certaine mesquinerie dans leur application, notamment envers les personnes handicapées, car ce sont les plus vulnérables. Dans ce contexte, le fait d’offrir une prestation fédérale sans avoir la certitude que les provinces ne tenteront pas de la récupérer est une véritable source de préoccupation. Le comité devrait-il se pencher sur cet aspect? Cela a été mentionné par de nombreux militants.

Nous devons nous assurer qu’il ne s’agira pas de donner d’une main pour reprendre de l’autre simplement parce que les provinces ont le pouvoir de le faire. Je pense que ce serait bien triste, et cela irait à l’encontre des objectifs du projet de loi.

Plus important encore, essayer de sortir les gens — notamment les personnes handicapées — de la pauvreté devrait être un objectif louable pour tous. Les provinces et le gouvernement fédéral devraient régler ce problème afin de nous garantir que les fonds accordés ne seront pas récupérés par les gouvernements provinciaux.

La sénatrice Seidman : Je vous remercie, sénateur. En effet, ce problème a été soulevé très souvent. On nous a très clairement indiqué que le gouvernement fédéral a l’intention de négocier avec les provinces.

(1620)

Il existe de nombreux types de régimes d’assurance et, comme je l’ai indiqué dans mon intervention, le fait qu’il existe une grande diversité de cas de figure soulève de réelles inquiétudes, et la façon dont nous allons nous assurer que les prestataires ne seront pas soumis à des mesures de récupération représente un défi. Encore une fois, c’est pour cela que j’ai indiqué dans mon discours que nous pourrions envisager de mettre sur pied une sorte de tribunal ou d’organisme de défense des droits auprès duquel les prestataires pourraient porter plainte, faire appel, ou faire d’autres démarches, sans avoir à passer par une administration gouvernementale, pour qu’ils puissent se manifester rapidement, et qu’ils n’aient pas à attendre un, deux, voire trois ans, comme cela a été le cas dans le cadre du crédit d’impôt pour personnes handicapées. En effet, les personnes handicapées ont eu beaucoup de difficulté à se faire entendre et à obtenir ce à quoi elles avaient droit.

(Sur la motion de la sénatrice Bernard, le débat est ajourné.)

Projet de loi sur une approche axée sur la santé en matière de consommation de substances

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénatrice Boniface, appuyée par l’honorable sénatrice Hartling, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-232, Loi concernant l’élaboration d’une stratégie nationale de décriminalisation des substances illégales et modifiant la Loi réglementant certaines drogues et autres substances et d’autres lois en conséquence.

L’honorable Larry W. Campbell : Honorables sénateurs, je prends la parole pour appuyer le projet de loi S-232. Pour commencer, je tiens à féliciter la marraine de ce projet de loi, la sénatrice Boniface, pour tout le travail qu’elle a consacré à celui-ci. J’aimerais aussi souligner qu’il a franchi l’étape de la première lecture au Sénat le 7 décembre 2021.

Il est temps de voir le problème différemment. Pendant des décennies, on a débattu futilement de la question de savoir si la toxicomanie, un comportement autodestructeur, constituait un problème criminel ou un problème médical. J’espère qu’il est maintenant évident qu’il ne s’agit ni de l’un ni de l’autre. Il s’agit d’un problème politique, d'après le rapport de Diane Riley intitulé La politique canadienne de contrôle des stupéfiants : aperçu et commentaires qui a été rédigé pour notre regretté collègue et grand ami, l’honorable Pierre Claude Nolin.

Je crois qu’il est important pour nous de comprendre la vie d’un toxicomane. Tout d’abord, vous devez recueillir l’argent nécessaire. Vous travaillez dans l’industrie du sexe. Vous cambriolez des voitures. Vous cambriolez des maisons. Vous faites violence à d’autres personnes, y compris des toxicomanes, mais vous parvenez à obtenir l’argent nécessaire. Vous devez ensuite vous procurer la drogue. Vous devez sortir et trouver votre vendeur. Vous devez aller d’une rue ou d’une ruelle à l’autre pour essayer de trouver quelqu’un qui vous vendra la drogue. Ce n’est pas comme dans les films. Tous les gens ne sont pas resplendissants et propres. Ils sont sales. Ils sentent mauvais. La personne qui vous vend la drogue est un toxicomane. Il n’a aucune idée de ce que contient la drogue qu’il vous vend. Finalement, vous pouvez vous injecter de la drogue. Vous vous rendez dans une ruelle, une chambre ou une salle de bain. Parfois, vous utilisez des flaques d’eau comme source d’eau pour votre seringue parce que c’est le moyen le plus rapide de vous injecter la drogue dans le bras.

Il n’y a pas de temps à perdre. Une fois que vous avez la drogue, vous voulez vous l’injecter immédiatement. Sinon, vous risquez d’être arrêté par la police ou de vous faire voler votre dose par d’autres toxicomanes.

Soyons clairs, d’après mon expérience, il est rare qu’un policier arrête un toxicomane. Les policiers sont toutefois tenus par la loi de saisir les drogues que le toxicomane possède, ce qui ne fait que relancer le processus.

Il ne s’agit pas ici de personnes qui consomment des drogues à des fins récréatives, qui fument un joint le samedi soir dans une boîte de nuit ou prennent un verre avec des copains. Il s’agit d’une dépendance.

Les toxicomanes sont des êtres de sable. Ils ne sont pas attachés à leurs racines, ni au passé ou l’avenir [...] ils vivent dans le moment présent [...] ils ont besoin de structure et d’une aide complète et globale [...] tant qu’on n’a pas démêlé les émotions, tout le reste est de courte durée.

Voilà la déclaration d’ouverture de John Vincent Cain, le coroner en chef de la Colombie-Britannique auquel j’ai succédé. On lui avait demandé de produire un rapport sur les décès par surdose de narcotiques illicites en Colombie-Britannique; le rapport a été publié en septembre 1994.

Il fournit littéralement une feuille de route à suivre pour régler le problème des décès par surdose. Je tiens à mentionner particulièrement la recommandation no 61, qui dit ceci :

Par conséquent, JE RECOMMANDE QUE le ministère du procureur général :

61. Entame des discussions avec les ministres fédéraux de la Justice et de la Santé pour voir s’il serait approprié et faisable de décriminaliser la possession et l’usage de substances spécifiques par des personnes qui ont une dépendance reconnue envers ces substances;

Pour paraphraser une chanson de Bob Seger, « Trente ans/Où sont‑ils allés?/Trente ans/Je n’en sais rien. »

La décriminalisation n’est pas un nouveau concept. Le groupe de travail a été formé il y a 30 ans, alors que la Colombie-Britannique était passée de 39 décès en 1983 à 331 décès en 1993.

J’étais le coroner de Vancouver à cette époque. En 1993, je croyais que la situation ne pouvait empirer, mais j’avais tort.

En 2001, il y a eu la décriminalisation au Portugal. Tous les rapports font état de résultats positifs. Je reconnais que les systèmes de santé et de justice du Portugal sont très différents des nôtres, mais tous les rapports en provenance du Portugal sont positifs. Ils indiquent tous que le nombre de décès diminue, que le nombre de personnes qui se retrouvent devant les tribunaux diminue rapidement, et que le nombre de personnes incarcérées est en baisse.

Enfin, la Colombie-Britannique a décriminalisé la consommation de drogues par l’entremise d’une exemption pour soins de santé qui est entrée en vigueur le 31 janvier. Nous ne savons pas comment les choses vont se passer, mais au moins nous essayons.

Partout ailleurs au pays, il y a des lois contre la consommation de drogues illicites. Est-ce aller trop loin que d’imaginer que cette initiative pourrait s’appliquer au reste du pays? Je ne crois pas, mais nous savons tous que le Canada a la caractéristique unique d’avoir 13 autorités distinctes et indépendantes en matière de soins de santé, qui décident chacune, de manière indépendante je le répète, de la façon dont les soins de santé sont prodigués.

Même si la toxicomanie constitue une urgence nationale, de nombreuses provinces n’ont ni la capacité ni la volonté de mettre le pied dans ce bourbier politique. C’est aux gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux qu’il incombe de régler ce problème constitutionnel au nom de la vie.

Les avantages de la décriminalisation : je dois remercier le Réseau canadien de la santé et plus particulièrement Alissa Greer et Caitlin Shane de leur rapport sur la décriminalisation de la consommation de drogue. Il s’agit d’un changement de paradigme en matière de drogue. Nous passons d’un cadre juridique à la reconnaissance du fait que la dépendance est un problème de santé et un problème social.

Certains pensent que la dépendance fonctionne ainsi : un beau matin, une personne se lève et se dit : « Ça y est, c’est aujourd’hui que je me pique à l’héroïne. Cela me semble être une bonne idée. Et ce n’est pas tout. Je pense que je vais arrêter l’école, quitter mon foyer et errer dans les plus sombres recoins des villes et des villages pour vivre dans la pauvreté abjecte, la maladie et — comme c’est souvent le cas — les troubles mentaux. »

(1630)

Je connais des milliers de personnes qui sont toxicomanes. Jamais une seule n’a dit : « C’est une décision que j’ai prise, et je ne reviendrais jamais en arrière. » Pas une seule.

Quelles seront les répercussions de la décriminalisation sur nous? Pour commencer, elle nous fera économiser beaucoup d’argent parce qu’en ce moment, nous consacrons énormément d’argent aux services de police, aux tribunaux, aux prisons, aux travailleurs sociaux et aux cliniques, et tout le monde est surchargé de travail.

Il y a quelques mois, je suis allé souper à la caserne de pompiers no 3. Sur le t-shirt des pompiers, il est écrit : « Ce n’est pas l’enfer, mais on peut le voir d’ici. » La caserne est située dans le quartier Downtown Eastside. J’ai soupé avec ces hommes et ces femmes, mais nous n’avons jamais pu finir le repas parce que l’alarme ne cessait de sonner pour les appeler au service. Une des personnes m’a dit : « J’ai sauvé la même personne cinq fois, et je vais vous dire une chose : je perds mon humanité. »

La décriminalisation au Portugal a réduit la demande et les coûts pour le système, tant pour les soins de santé généraux que pour les urgences. Lorsque nous avons ouvert notre unique centre d’injection supervisée à Vancouver, j’ai été stupide : j’aurais dû en ouvrir 20 quand j’en ai eu la chance. À l’ouverture de ce centre, les visites aux urgences de l’hôpital St. Paul’s ont chuté radicalement parce que nous traitions les gens sur place, que ce soit pour des contusions, des infections ou tout autre chose. Il y avait des infirmières qui pouvaient prendre en charge les gens et leur éviter de se rendre aux urgences. Cet argent peut être dépensé de bien d’autres façons : il peut servir à des cliniques, à l’embauche de plus de médecins et à l’augmentation des traitements et des soins offerts.

La décriminalisation a des effets positifs sur la vie des gens. La grande majorité des toxicomanes souffrent de troubles mentaux et sont pauvres, sans abri, racialisés et maltraités — et j’en passe. Ils sont victimes de la situation encore et encore.

Avoir moins recours aux casiers judiciaires signifie que, à un moment donné, le toxicomane ne vivra plus cette forme de stigmatisation pour ce qui est un problème de santé et pourra peut‑être décrocher un emploi. La décriminalisation, en tenant compte de la loi sur les bons samaritains qui a été adoptée ici, réduira la peur que ressentent encore beaucoup de gens d’appeler les services d’urgence en cas de surdose. La décriminalisation est une mesure de réduction des méfaits.

On craint que la consommation de drogue augmente si la décriminalisation entre en vigueur. Je reviens à ce que j’ai dit plus tôt : « Cela semble être une bonne idée : pourquoi ne pas sortir prendre un peu d’héroïne? » Cette crainte n’est pas soutenue par les preuves et, en fait, dans la plupart des cas, la consommation de drogue a diminué après la décriminalisation. Il ne s’agit pas d’une solution miracle. En fait, comme je l’ai appris au site d’injection supervisée, il n’existe pas de solution miracle pour lutter contre la toxicomanie.

Si nous choisissons de ne pas aller dans cette direction, quel sera le résultat? Pensez à ces villes : Whitehorse, au Yukon; Orangeville, en Ontario; Port Moody, en Colombie-Britannique; Saint-Constant, au Québec; Cochrane, en Alberta; Corner Brook, à Terre-Neuve; New Glasgow, en Nouvelle-Écosse; Yellowknife; les deux tiers de la population du Nunavut; Dieppe, au Nouveau-Brunswick; Moose Jaw, en Saskatchewan; Brandon, au Manitoba; et Summerside et Stratford, à l’Île-du-Prince-Édouard. Vous vous demandez peut‑être : qu’ont en commun ces villes canadiennes? Rien, sauf leur population.

Imaginez, si vous le voulez bien, que l’une de ces villes disparaisse complètement. Chaque ville correspond approximativement au nombre de personnes qui sont décédées entre janvier 2016 et juin 2022 à cause de la toxicité des opioïdes.

Comme les gens comprennent mieux avec des chiffres, en voici d’autres : en 2016, on dénombrait huit décès par jour au Canada. En 2018, ce chiffre avait monté à 12 décès par jour au Canada. De janvier à juin 2022, on comptait 20 décès par jour, ce qui représente une mort par heure, chaque jour, chaque semaine, chaque mois, pour un total de 32 632 Canadiens disparus. Ce sont des mères, des pères, des sœurs, des frères, des tantes, des oncles et des amis qui ont perdu la vie ici même, dans notre cher pays dont nous sommes si fiers.

Adopter ce projet de loi n’enrayera pas la toxicomanie. Adopter ce projet de loi n’éliminera pas les conséquences criminelles de la toxicomanie. Adopter ce projet de loi fera très clairement savoir à l’autre endroit que nous n’abandonnerons pas la bataille contre ce fléau. Je vous prie d’avoir le courage d’amener ce projet de loi à la prochaine étape avec l’urgence qu’il impose.

J’ajouterai en terminant, honorables sénateurs, que c’est mon dernier discours dans cette merveilleuse enceinte. J’ai demandé qu’on ne me rende pas hommage. De mon côté, je ne prendrai pas la parole après le débat d’aujourd’hui. Cet endroit et les amis que je m’y suis faits vont me manquer. Je n’oublierai jamais les expériences vécues entre ces murs et le sentiment que les travaux qui sont exécutés ici changent les choses. Je quitte le Sénat avec la certitude que, plus que jamais, il joue un rôle dans la gouvernance du Canada. Le Sénat rend notre pays meilleur en élaborant, en examinant et en amendant des projets de loi. C’est la Chambre de second examen objectif et elle le demeurera. Bonne chance à vous tous. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Kim Pate : Sénateur Campbell, accepteriez-vous de répondre à une question?

Le sénateur Campbell : Certainement.

La sénatrice Pate : Je voudrais bien avoir plus de temps. Je sais que vous ne voulez pas qu’on vous rende hommage, sénateur Campbell, mais vous venez d’établir exactement pourquoi votre présence a été d’une importance cruciale au Sénat.

Des voix : Bravo!

La sénatrice Pate : Merci pour les nombreuses années de travail que vous avez investi dans cette question. Merci d’avoir inspiré l’émission Coroner Da Vinci, qui l’a fait comprendre à beaucoup de personnes qui, autrement, n’en auraient pas entendu parler. Enfin, merci pour tout le travail que je sais que vous allez continuer à accomplir. Je pense que mon temps de parole est écoulé, alors je veux juste demander : pourquoi est-ce votre dernier discours?

Le sénateur Campbell : Voilà un exemple classique d’âgisme.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

La Loi sur les aliments et drogues

Projet de loi modificatif—Deuxième lecture—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur la motion de l’honorable sénateur Brazeau, appuyée par l’honorable sénateur Housakos, tendant à la deuxième lecture du projet de loi S-254, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcoolisées).

L’honorable Jane Cordy : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui à l’étape de la deuxième lecture pour appuyer le projet de loi S-254, Loi modifiant la Loi sur les aliments et drogues (étiquette de mise en garde sur les boissons alcoolisées). Ce projet de loi rendrait obligatoires les étiquettes de mise en garde sur les boissons alcoolisées vendues au Canada.

Je m’adresse à vous aujourd’hui sur les territoires non cédés des peuples algonquins anishnabeg.

Je tiens d’abord à remercier le sénateur Brazeau d’avoir présenté ce projet de loi très important au Sénat.

(1640)

Honorables sénateurs, il a été scientifiquement prouvé qu’il existe un lien entre la consommation de boissons alcoolisées et certains types de cancers. Comme l’a indiqué le sénateur Brazeau dans son discours, il s’agit notamment des cancers de la bouche et de la gorge, des cordes vocales, de l’œsophage, du sein, du foie et du côlon.

Comme l’a également souligné le sénateur Brazeau, seulement un Canadien sur quatre est même conscient qu’il existe un lien entre la consommation de boissons alcoolisées et le risque de cancer. La majorité des Canadiens ne savent pas non plus que l’Organisation mondiale de la santé classe l’alcool dans le groupe 1 des cancérogènes.

Les lettres d’appui à ce projet de loi d’organisations telles que le Cobequid Community Health Board, le Yarmouth County Community Health Board, le Lunenburg County Community Health Board et le Digby and Area Community Health Board, tous des conseils communautaires de santé de ma province, la Nouvelle‑Écosse, indiquent clairement que les mesures contenues dans ce projet de loi sont conformes aux recommandations actuelles en matière de santé fondées sur des résultats scientifiques et probants :

Le projet de loi S-254 est conforme à la récente demande concernant des étiquettes de mise en garde faisant partie des nouveaux Repères canadiens sur l’alcool et la santé proposés par le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances, qui recommande que Santé Canada « exige, au moyen d’un règlement, l’étiquetage obligatoire sur les contenants d’alcool du nombre de verres standards, des Repères canadiens sur l’alcool et la santé, de mises en garde sur la santé et des renseignements nutritionnels. » Cette recommandation provient d’experts scientifiques de premier plan dans le domaine et est appuyée par le document Evidence‑based Recommendations for Labelling Alcohol Products in Canada, rédigé par les chercheurs du projet d’Évaluation des politiques canadiennes sur l’alcool, qui sont des chefs de file dans ce genre de politiques depuis plus de 10 ans.

En Nouvelle-Écosse, les membres du Conseil de santé communautaire de la côte Est ont les mêmes préoccupations. Ils appuient cette mesure législative car, à leur avis :

[...] il est essentiel que les gens connaissent et comprennent les risques qu’ils prennent en choisissant de consommer de l’alcool. Celui-ci représente un risque de cancer. De plus, on peut voir les résultats de l’alcoolisme dans nos collectivités : violence familiale, problèmes de santé mentale et autres maladies chroniques. Les étiquettes de mise en garde ne sont que le début d’une série de politiques publiques qui sont nécessaires afin de réduire les quantités d’alcool consommées dans nos collectivités et de créer des milieux familiaux plus sains.

Honorables sénateurs, le projet de loi à l’étude ne vise pas à priver les Canadiens du droit d’acheter ces produits ou à en y restreindre l’accès, contrairement à ce que pourraient prétendre ses opposants. Il vise plutôt à fournir aux consommateurs des renseignements clairs, exacts et, bien franchement, importants pour les aider à faire un choix éclairé quand ils décident de consommer ce type de produits.

Quand on apprend que seulement un Canadien sur quatre sait que la consommation prolongée d’alcool entraîne un risque de cancer, je pense que cela prouve que ces types d’étiquettes sont nécessaires et qu’elles auraient dû être imposées depuis longtemps.

Honorables sénateurs, certains se demanderont peut-être si des étiquettes de mise en garde seront efficaces : leurs effets seront-ils assez importants, ou ne feront-elles que perturber inutilement l’industrie canadienne des boissons alcoolisées?

Nous pouvons prendre l’exemple du tabac. Je vais citer une étude pertinente. En 2006, dans le cadre d’un sondage réalisé dans quatre pays, le Projet international d’évaluation de la lutte antitabac a évalué si les étiquettes de mise en garde apposées sur les paquets de cigarettes permettaient d’informer efficacement les fumeurs des risques du tabagisme.

Le but de la présente étude était d’utiliser des échantillons nationaux représentatifs de fumeurs adultes des États-Unis, du Royaume-Uni, du Canada et de l’Australie […] pour examiner les écarts de connaissance des risques du tabagisme entre les fumeurs de ces pays et l’incidence des mises en garde sur les paquets.

À l’époque, on avait constaté que :

[…] le degré de connaissance des risques du tabagisme variait considérablement chez les fumeurs des quatre pays. Les fumeurs qui prenaient connaissance des mises en garde étaient bien plus susceptibles d’accepter que le tabagisme pose des risques pour la santé, notamment des risques de cancer du poumon et de maladies cardiaques. Dans tous les cas où les politiques d’étiquetage variaient entre les pays, les fumeurs vivant dans des pays où le gouvernement rendait obligatoires les mises en garde avaient de meilleures connaissances en matière de santé.

Par exemple, au Canada, où les emballages comprennent des mises en garde sur certains risques pour la santé, « les fumeurs étaient 2,68 fois plus susceptibles de convenir » que le tabagisme comporte des risques pour la santé comparativement aux fumeurs des trois autres pays.

Selon les résultats de l’étude, les mises en garde sur la santé « explicites, de grande taille et très détaillées communiquent plus efficacement les risques pour la santé qui sont associés au tabagisme ».

Nous constatons que les étiquettes de mise en garde sur les risques pour la santé sont efficaces lorsqu’il s’agit d’informer le consommateur des risques. Cependant, il faut maintenant se demander si cette information entraîne un changement de comportement, en l’occurrence une baisse de la consommation.

Au Canada, dans les années 2000, environ 28 % des Canadiens de plus de 15 ans fumaient régulièrement. Les plus récentes statistiques sur la prévalence du tabagisme au Canada indiquent que ce pourcentage est aujourd’hui inférieur à 12 %.

Bien sûr, la baisse du tabagisme au Canada ne peut être attribuée uniquement aux étiquettes de mise en garde explicites et obligatoires sur les paquets de tabac. Il y a eu, comme vous le savez, de nombreuses formes de publicité au sujet des méfaits du tabagisme. Les étiquettes de mise en garde contre les dangers pour la santé ne sont qu’un des nombreux outils permettant de freiner le comportement des consommateurs. Il a été démontré que, lorsqu’elles sont utilisées conjointement avec d’autres politiques et mesures, elles constituent une stratégie très efficace.

Dans le cas de la consommation d’alcool, les preuves montrent que plus la consommation d’alcool est importante, plus le risque de certains cancers est élevé. Les Canadiens doivent en être conscients; cependant, nous savons qu’il n’est pas dans l’intérêt financier des producteurs de boissons alcoolisées d’ajouter volontairement des étiquettes de mise en garde sur leurs produits.

Le but des étiquettes de mise en garde est de réduire la consommation, ce qui diminuerait la demande de leurs produits; c’est pourquoi, comme l’a dit le sénateur Brazeau dans son discours, « il incombe au Parlement d’intervenir ».

Honorables sénateurs, je tiens à remercier une fois de plus le sénateur Brazeau d’avoir présenté le projet de loi au Sénat. J’appuie entièrement l’esprit du projet de loi. Il a été démontré que les étiquettes de mise en garde sur les risques pour la santé apposées sur d’autres produits ont eu un effet positif sur le comportement des consommateurs. Pourquoi les boissons alcoolisées devraient-elles être exemptées de ce traitement? Il est temps qu’elles soient assujetties aux mêmes règles que les autres produits potentiellement dangereux.

Honorables sénateurs, j’espère que nous pourrons renvoyer rapidement le projet de loi S-254 au comité afin qu’il soit étudié. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Régie interne, budgets et administration

Septième rapport du comité—Ajournement du débat

Le Sénat passe à l’étude du septième rapport du Comité permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, intitulé Prévisions budgétaires du Sénat pour 2023-2024, présenté au Sénat le 7 février 2023.

L’honorable Lucie Moncion propose que le rapport soit adopté.

 — Honorables sénateurs, j’ai le plaisir de prendre la parole au sujet du rapport qui porte sur le budget du Sénat pour l’exercice 2023-2024.

En résumé, le budget prévu est estimé à 126,7 millions de dollars, soit 4,9 millions de dollars ou 4 % de plus que le budget pour 2022-2023.

(1650)

Le processus d’établissement du budget est fondé sur les recommandations du Sous-comité du budget des dépenses du Sénat et des budgets de comités. Le sous-comité est composé de moi‑même, en tant que présidente, de la sénatrice Marshall, vice‑présidente, et des sénateurs Bovey, Moodie et Tannas. Je les remercie du temps et des efforts considérables qu’ils ont consacrés à l’examen du budget des dépenses.

Les membres du sous-comité ont rencontré le comité exécutif de l’Administration du Sénat et la plupart des directeurs à de nombreuses reprises. Les directions ont fourni des présentations détaillées au sous-comité. Les membres ont eu l’occasion d’échanger sur les besoins en matière de financement, de dotation et de dépenses au cours de ce processus.

Durant l’examen du Budget principal des dépenses de 2023-2024, le comité a tenu compte non seulement des changements apportés au Sénat, mais aussi des effets des nouvelles réalités économiques et fonctionnelles sur les activités du Sénat. Le comité est aussi demeuré très conscient de la conjoncture économique canadienne et de l’importance de trouver un équilibre entre les besoins opérationnels et la saine gestion des fonds publics.

Pour le détail des dépenses, je souhaite rappeler aux sénateurs que le budget comporte deux parties : le financement prévu par la loi et les crédits votés. Le financement prévu par la loi concerne les fonds alloués par voie législative. Il s’agit notamment des allocations de base et supplémentaires, des régimes de retraite des sénateurs, des frais de déplacement, de subsistance et de télécommunication des sénateurs ainsi que des régimes d’avantages sociaux des employés. Tout manque à gagner dans ces catégories est comblé par le Conseil du Trésor. À l’inverse, les excédents sont automatiquement reversés au Conseil du Trésor car ils ne peuvent être réaffectés. La seconde partie du budget, les crédits votés, couvre le fonctionnement du Sénat. Il englobe les budgets des bureaux des sénateurs et l’Administration du Sénat.

Passons aux chiffres : le montant total du budget prévu par la loi est de 38,1 millions de dollars, ce qui représente une augmentation de 800 000 $ ou de 2,2 % par rapport à l’année dernière. Cette augmentation s’explique essentiellement par le budget prévu pour les déplacements des sénateurs, qui a augmenté de 418 000 $ pour tenir compte de la récente hausse des frais de déplacement. L’autre augmentation concerne les cotisations au régime d’avantages sociaux des employés, qui ont augmenté de 391 000 $ en raison de la hausse de 0,2 % du taux du Conseil du Trésor, qui est passé de 15 % à 15,2 %.

Passons à la deuxième partie, les crédits votés, qui s’élève à 88,6 millions de dollars, soit une augmentation de 4,1 millions de dollars ou 4,8 %. Les principales composantes de l’augmentation des crédits votés sont la Direction des affaires internationales et interparlementaires, qui a augmenté de 201 000 $ pour couvrir le coût de la 47e session annuelle de l’Assemblée parlementaire de la Francophonie et de la 31e session annuelle de l’Assemblée parlementaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Il y a eu une augmentation de 100 000 $ pour le programme de diversité, d’équité et d’inclusion et un financement supplémentaire de 2,5 millions de dollars pour maintenir et renouveler l’infrastructure des TI et leurs technologies, pour de nouvelles ressources visant à soutenir les activités de ressources humaines, et pour des services et du financement pour les cafétérias de l’édifice de l’Est et du Sénat du Canada.

[Français]

Les nouvelles demandes de financement approuvées par le Comité de la régie interne au cours de l’année représentent 1,1 million de dollars, principalement en raison des augmentations économiques pour le groupe exécutif du Sénat et le groupe de gestion intermédiaire, pour deux ressources supplémentaires pour la nouvelle mesure de sécurité renforcée à l’appui des sénateurs et du personnel, qui a été confiée à la Direction de la sécurité parlementaire, et pour deux ressources supplémentaires à la Direction des comités.

Un montant de 146 000 $ a été inclus principalement pour couvrir les reclassifications de postes. En outre, les deux transferts budgétaires suivants ont été approuvés : le premier est une réaffectation de 179 000 $ du budget des comités du Sénat à l’Administration du Sénat pour couvrir les salaires de deux ressources, afin de soutenir les témoins qui comparaissent en mode virtuel; le second est une réaffectation de 178 000 $ du budget du Comité de l’audit et de la surveillance à l’Administration du Sénat pour couvrir le salaire d’un nouveau chef de la vérification.

Les initiatives nécessitant un financement ponctuel seront autofinancées à hauteur de 924 000 $, surtout pour la planification stratégique des ressources humaines en ce qui a trait à l’enquête sur la participation à l’emploi et l’examen de la rémunération, la maintenance et le renouvellement continus du réseau du Sénat et le renouvellement de deux ressources afin de soutenir la reconduction du réseau et la refonte de nombreux processus.

À la suite de la décision qu’ont prise les membres du Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration le 15 décembre dernier, il y a un gel temporaire des embauches, ce qui signifie que le seuil du nombre d’effectifs est de 441,2 équivalents à temps plein. Un examen des efficacités opérationnelles est actuellement effectué par le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat et des budgets de comités. Ce comité est chargé d’évaluer les dépenses et les performances de l’Administration du Sénat dans des domaines clés afin d’identifier les possibilités d’économies et de rationalisation des services. Il convient de noter que toute modification proposée sera présentée et devra être approuvée par le Comité de la régie interne, des budgets et de l’administration.

Avant de conclure, je voudrais, une fois de plus, remercier les membres du sous-comité, le personnel de l’Administration du Sénat et les membres du Comité exécutif. Ils ont tous abordé le budget d’une manière réfléchie et prudente.

J’aimerais aussi, à cette étape, apporter des précisions quant à certains récents articles de journaux qui ont fait état de la situation financière du Sénat. Ces informations portaient à confusion et dressaient un portrait inexact des dépenses réelles du Sénat.

[Traduction]

On utilise souvent les dépenses réelles et les budgets pour expliquer les coûts d’exploitation du Sénat. Chers collègues, il existe une différence entre « budget » et « dépenses réelles ». Le budget est l’enveloppe affectée au fonctionnement du Sénat pour une année donnée, tandis que les dépenses représentent le montant qui a réellement été utilisé. Voici les chiffres pour le budget et les dépenses.

Si vous vous souvenez, dans les journaux, on a établi une comparaison avec l’exercice de 2015-2016. Le budget à cette époque était de 88,8 millions de dollars. En comparaison, pour 2023-2024, le budget est de 126,7 millions de dollars, ce qui représente une augmentation de 37,9 millions de dollars, ou de 42,6 % par rapport à 2015-2016. Le budget aurait donc augmenté annuellement de 5,3 %. Si l’on compare les dépenses réelles — donc je ne parle plus du budget, mais bien des dépenses —, en 2015-2016, elles s’élevaient à 74,6 millions de dollars alors qu’en 2021-2022, elles ont été de 96,4 millions de dollars. Cela représente une hausse de 21,8 millions de dollars, ou de 4,9 % par année pendant six ans.

Revenons au budget. Le budget du prochain exercice financier, l’exercice 2023-2024, s’élève à 126,7 millions de dollars, soit une hausse de 4,9 millions de dollars, ou de 4 % par rapport à l’exercice de 2022-2023.

Au cours des trois dernières années, le budget a augmenté d’environ 3,7 millions de dollars par année, c’est-à-dire de 3,1 %. Le budget de 2023-2024 se fonde sur les principes du maintien de services de haute qualité pour les sénateurs et de la gestion des fonds publics dans le contexte de la pandémie et de la relance postpandémique. Il tient compte de l’inflation, des hausses salariales économiques, de l’augmentation des coûts, des investissements dans les technologies et des nouvelles initiatives.

Certaines des nouvelles initiatives sont en fait exigées par la loi. Le Code canadien du travail, la Loi sur l’équité salariale et la Loi canadienne sur l’accessibilité exigent que le Sénat mette en œuvre des programmes selon des échéanciers définis dans la réglementation, notamment en matière d’équité salariale, d’accessibilité et de prévention du harcèlement.

En plus de ces exigences réglementaires, le Sénat travaille à la mise en œuvre d’initiatives visant la diversité, l’inclusion, le recrutement, la vérification et la surveillance. Je rappelle que le Sénat a des dépenses. Au cours des six dernières années, toutes les sommes excédentaires ont été rendues au fonds central du gouvernement.

(1700)

Ma dernière observation portera sur le travail accompli par le personnel pour faire fonctionner cette institution. Nous avons 18 comités permanents, 7 sous-comités, et 4 comités mixtes. Le Sénat siège trois fois par semaine, et nous avons quatre groupes et caucus qui se réunissent chaque semaine. Pour chaque séance de comité, ce sont au moins 20 à 25 membres du personnel qui interviennent. Si l’on tient compte de toutes ces séances et de la quantité de travail effectué chaque semaine, on constate que le Sénat compte beaucoup d’employés à son service. Je dirai que notre personnel fournit des services d’une qualité remarquable, et je n’ai aucune plainte à formuler à ce sujet. Sur cette note, chers collègues, je n’ai rien à ajouter.

Des voix : Bravo!

(Sur la motion de la sénatrice Martin, le débat est ajourné.)

Le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Dasko, attirant l’attention du Sénat sur le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs.

L’honorable Paula Simons : Honorables sénateurs, j’interviens aujourd’hui pour parler de l’enquête lancée par notre collègue la sénatrice Donna Dasko, qui attire l’attention du Sénat sur le rôle que jouent les débats des chefs dans le renforcement de la démocratie en engageant et en informant les électeurs.

Mes amis, le sujet me passionne parce que j’adore débattre, et c’est à prendre au pied de la lettre. La plupart d’entre vous ne seraient probablement pas choqués d’apprendre que j’étais très active dans le club d’art oratoire de mon école. En effet, j’ai connu mes heures de gloire en 11e année, lorsque je fréquentais l’école secondaire Ross Sheppard Composite : ma partenaire Esther Winestock et moi-même avons remporté le championnat provincial d’art oratoire de l’Alberta et nous avons ainsi eu la chance de participer au championnat national d’art oratoire des écoles secondaires, à Montréal.

Je garde un excellent souvenir de ce tournoi à Montréal, non seulement parce que je me suis classée cinquième au pays, mais aussi parce que c’est lors de ce glorieux festival d’intellos qu’on m’a finalement demandé de danser mon tout premier slow. Ce n’était pas parce que j’étais la reine du bal, mais parce qu’un garçon plus âgé, membre de l’équipe de l’Ontario, a eu pitié que je fasse tapisserie, alors il m’a gentiment demandé de danser sur Stairway to Heaven, qui était à l’époque le slow par excellence. Ce garçon s’appelait David Lametti. Il est maintenant ministre de la Justice, et moi, je suis maintenant sénatrice et je crois qu’il est juste de dire que notre expérience des débats au secondaire nous a bien servis, malgré nos piètres talents de danseurs.

Le débat aiguise l’esprit. Il apprend à penser sur le vif, à s’engager dans un affrontement respectueux d’idées, à écouter, à analyser et à réfuter en temps réel. Dans les concours d’art oratoire au secondaire, il faut faire des recherches et défendre les deux côtés de chaque sujet. On cultive ainsi la capacité à comprendre qu’aucun camp n’a le monopole des bonnes idées. On développe du respect, même pour ceux avec qui on a peut-être un désaccord intellectuel, parce qu’on a appris — en fait, on s’est entraîné — à voir les choses du point de vue opposé.

Débattre a également fait des merveilles pour ma vie sociale, et pas seulement au secondaire. J’ai ensuite été membre de la société d’art oratoire de l’Université de l’Alberta, et mon partenaire Jason Lucien et moi avons remporté la coupe McGoun, le grand prix du championnat universitaire d’art oratoire de l’Ouest canadien. Jason reste l’un de mes amis les plus chers.

Cependant, c’est également à la société d’art oratoire de l’Université de l’Alberta que j’ai rencontré mon valentin, mon mari, il y aura 40 ans cet automne. On pourrait dire que lui et moi débattons ensemble depuis ce temps. Il n’est peut-être pas surprenant que nous ayons élevé une débatteuse. Notre fille — pauvre enfant — a difficilement pu échapper à son destin. Que ce soit un talent acquis ou inné, elle a été génétiquement conçue et élevée pour les concours d’art oratoire. Oh la la, elle était très bonne. Elle a participé deux fois au championnat national d’art oratoire au niveau secondaire et elle a fini par terminer au troisième rang des débatteurs de son âge de tout le pays, dépassant mon propre classement.

Cependant, quand elle a commencé l’école secondaire, elle s’est rebellée. Dieu qu’elle s’est rebellée. Je ne veux pas vous choquer, mais je dois vous le dire : elle a troqué le lutrin des débats pour la scène en devenant plutôt capitaine de l’équipe d’improvisation de son école. Elle insistait pour dire que, pour une raison ou pour une autre, l’improvisation était plus amusante. Dieu sait pourquoi. Tout de même, maintenant qu’elle défend ses clients en tant que stagiaire dans un cabinet d’avocats, son expérience des débats lui est très utile.

Je n’étais pas seulement une débatteuse et la fière mère d’une débatteuse — c’est comme être une mère de hockeyeur, sauf qu’on passe moins de temps à attacher des patins et plus de temps à préparer des contre-arguments. J’ai aussi passé des décennies comme juge et entraîneuse bénévole en matière d’art oratoire. J’ai rédigé des guides sur le sujet pour l’Alberta Debate and Speech Association. J’ai entraîné des débatteurs de niveau secondaire et universitaire en leur enseignant les compétences de base et les subtilités du contre-interrogatoire et des débats de type parlementaire.

C’est pourquoi, quand je vous dis que le format actuellement utilisé pour les débats des chefs fédéraux ne fonctionne pas, je ne parle pas seulement à titre de sénatrice en poste ou que journaliste politique chevronnée : je parle aussi en ma qualité d’aficionado des débats. Je reconnais un bon débat avec mes yeux et mes oreilles. La façon dont sont structurées les activités dans le cadre des élections fédérales n’est tout simplement pas propice à des débats constructifs, peu importe qui y participe. Il n’y a pas place à un choc clair et sain des idées. Il y a très peu de possibilités d’échanges directs. Les participants s’en remettent beaucoup trop à des arguments mémorisés et à des réponses toutes faites. Nous n’avons donc pas vraiment la chance de voir les candidats réfléchir rapidement et composer avec les opinions divergentes.

Évidemment, ce problème est en partie causé par le système de plus en plus multipartite. Pour être pleinement efficace, un débat traditionnel doit compter deux participants à la fois, ce qui n’est plus la forme privilégiée depuis très longtemps. Quand il y a quatre, cinq ou six chefs rivaux sur la scène qui crient à qui mieux mieux dans le but de se coincer mutuellement, il est très difficile de trouver une formule qui facilite les échanges et les répliques entre deux personnes.

En fait — et je le dis avec le plus grand respect pour les journalistes qui participent à cet exercice —, il ne s’agit pas vraiment d’un débat. Des journalistes posent des questions, qui sont parfois excellentes, parfois moins. Puis les choses dégénèrent et prennent des allures de conférence de presse où des chefs rivaux se battent jusqu’à ce que mort s’ensuive : c’est à qui prononcera la meilleure phrase-choc, et tant pis si la réponse n’a pas grand-chose à voir avec la question posée.

Ensuite, dès la fin du débat, les partisans de chaque chef se ruent sur les réseaux sociaux pour claironner que leur candidat a gagné, et les pontifes se lancent dans leur analyse instantanée. Le lendemain matin, des millions de Canadiens qui n’ont même pas regardé le débat sont convaincus de savoir qui l’a gagné.

Pourquoi attachons-nous autant d’importance aux débats des chefs, en fait? Après tout, je crois que nous savons tous, nous les sénateurs, que les talents d’orateur, bien que fort utiles, ne sont pas la caractéristique essentielle d’un grand chef ou d’un grand premier ministre. Quelqu’un peut être un orateur habile, plein d’esprit et de charisme, mais être d’une nullité désastreuse quand il s’agit d’élaborer des politiques publiques ou de gérer un caucus. Les effets oratoires ne font pas de vous un bon économiste, un bon stratège militaire ou un expert en jurisprudence. Malgré cela, nous exigeons que les chefs des partis se livrent au rituel des joutes oratoires publiques. Pourquoi?

Nous pourrions dire que c’est à cause des Grecs et des Romains — ou grâce à eux —, parce que notre démocratie moderne est en grande partie basée sur leur culture politique. Dans l’Agora d’Athènes ou dans le Sénat romain, le talent en rhétorique était considéré comme une marque d’intelligence et de leadership ouvrant la voie vers le pouvoir, qu’il soit utilisé pour convaincre un public d’élite ou pour inspirer les foules.

Bien longtemps après que l’Acropole se soit effondrée et que Rome ait achevé son déclin, le mythe romantique de l’Ancien Monde a inspiré les aristocrates anglais, qui, au fil des siècles, ont modelé leur conception du parlementarisme sur les idéaux classiques. C’est ce qui explique que, encore aujourd’hui, dans le Canada multiculturel pragmatique du XXIe siècle, nous attendons des dirigeants et des premiers ministres qu’ils suivent le modèle d’Aristote, de Périclès, de Cicéron et de César, qu’ils étalent leurs capacités d’orateur et qu’ils gagnent des joutes oratoires. Nous voulons qu’ils nous divertissent et qu’ils prouvent leur valeur et il est vrai que, à l’ère de la télévision, de la diffusion en direct en ligne et des médias sociaux, une bonne performance dans un débat est importante, d’un point de vue politique, pour orienter l’opinion publique.

En 2011, Alison Redford voulait être à la tête du Parti progressiste-conservateur de l’Alberta. La mère de Mme Redford est décédée la veille d’un débat télévisé entre les candidats à la direction du parti. Certains s’attendaient à ce que Mme Redford se désiste du débat. Au contraire, elle s’est présentée au studio et a tellement impressionné les téléspectateurs qu’elle a dépassé les trois hommes qui étaient devant elle dans les sondages et qu’elle est devenue la première femme à accéder au poste de premier ministre de l’Alberta.

Il faut dire que beaucoup d’Albertains ont dû attendre longtemps avant que la première ministre Redford montre les mêmes qualités sur le terrain que lors de cette soirée, mais il n’y a aucun doute que le courage, le sang-froid et la compassion observés par les électeurs ont contribué à sa victoire.

Aux élections de 2015 en Alberta, c’est l’attitude combative et amusante de Rachel Notley au débat des chefs qui a entraîné sa victoire écrasante. On pourrait toutefois aussi faire valoir que la faiblesse des performances du chef du Parti conservateur, Jim Prentice, et du chef du Parti Wildrose, Brian Jean, ont grandement contribué à l’élection de Mme Notley comme première première ministre néo-démocrate de l’Alberta.

(1710)

Je me souviens de mon père — un souvenir béni —, un conservateur de bonne souche, qui m’a appelé, mécontent, le matin après le débat. « Ce n’était pas juste », a-t-il grommelé. « Pourquoi pas? » ai-je demandé. « Elle était tellement charmante », s’emporta mon père. « Elle était impossible à battre. » Mon père n’était pas le seul à le penser. Le soir de ce débat, l’actuelle première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, travaillait comme commentatrice à la télévision, offrant une analyse du débat en direct. « Je me trouve dans une salle pleine d’hommes d’affaires conservateurs », a-t-elle déclaré ce soir-là. « Jusqu’à présent, les hommes ont l’air sinistres et Rachel a l’air radieuse. »

Quand je repense à cet historique débat des chefs de l’Alberta de 2015, je m’en souviens non seulement pour son résultat, mais aussi pour sa structure. Le débat comptait quatre participants, et le format leur permettait de s’affronter en tête-à-tête, ce qui a donné lieu à un véritable choc des idées et des personnalités. Ce débat a fait changer d’avis les gens, non seulement à cause de la fameuse gaffe de Jim Prentice, qui a dit que les mathématiques étaient difficiles, mais aussi parce que les gens ont eu la chance de scruter Prentice, Jean et Notley côte à côte, de les comparer et de les opposer, et de voir qui semblait le plus intelligent, le plus agile sur le plan intellectuel et le plus sincère. Malgré toute la superficialité et les frustrations de la culture des débats télévisés, je persiste à croire que les débats politiques peuvent contribuer à nous montrer la grâce d’un candidat sous pression, sa vivacité d’esprit et sa capacité à se rapprocher des gens.

Cependant, si nous voulons que ces débats télévisés se poursuivent et qu’ils fournissent des informations utiles, nous devons amorcer une discussion longue et ardue sur la forme, la structure et le principal objectif de ces débats. Il faut qu’ils soient conçus pour donner lieu à un véritable choc des idées et pour forcer les chefs à défendre leurs programmes et leurs principes. Nous devons aussi veiller à ce que ce travail soit fait par les chefs et non par les journalistes.

Il faut que les candidats puissent avoir des échanges francs et spontanés pendant lesquels ils peuvent attaquer et répliquer. Il faut aussi de bons modérateurs rigoureux qui forceront les candidats à s’en tenir à leur temps de parole, qui séviront contre l’intimidation et qui veilleront généralement à ce que le débat se fasse dans le respect des règles et de manière équitable. Nous ne devrions pas avoir à écouter de longs et ennuyeux sermons rédigés d’avance, et il ne faut pas non plus que les candidats se livrent à une dispute où tous les coups sont permis. Non, il faut que les débats soient au moins aussi bons que ceux qui étaient organisés à l’école secondaire de ma fille. Cela ne devrait pas être trop demander.

Je remercie mon amie, la sénatrice Dasko, d’avoir lancé cette interpellation, et de m’avoir donné cette chance de ressasser quelques souvenirs.

Le Sénat devrait donc affirmer qu’il croit au pouvoir du débat politique et qu’il juge nécessaire de trouver une meilleure façon d’organiser des débats au XXIe siècle.

Merci. Hiy hiy.

[Français]

L’honorable Julie Miville-Dechêne : Sénatrice Simons, accepteriez-vous de répondre à une question?

La sénatrice Simons : S’il vous plaît.

La sénatrice Miville-Dechêne : Comme vous, j’ai un grand intérêt pour les débats électoraux. Toutefois, je dois dire que j’ai d’assez grandes inquiétudes depuis qu’une commission indépendante s’occupe de ces débats qui me semblent de plus en plus formatés et artificiels, où l’on n’arrive pas à entendre la voix vive des candidats. Tout est mesuré de façon scientifique, mais franchement, ce n’est pas très enlevant. De plus, la dernière fois, lors du débat en anglais, il y a eu une bourde terrible en raison de la grosseur de l’événement et il n’y avait pas assez de journalistes responsables. Que pensez-vous de la formule actuelle, qui me déplaît souverainement?

[Traduction]

La sénatrice Simons : C’est une excellente question. Dans mon discours, je n’ai pas vraiment cherché à déterminer — car je m’amusais peut-être trop —, si le fait de recourir à une commission est la meilleure stratégie par rapport au fait de laisser les radiodiffuseurs ou les organisations journalistiques gérer les débats. Je sais que récemment, un proche de votre famille a participé au débat provincial au Québec à titre de journaliste et que cette personne a formulé ses questions de manière très prudente. Comme le dit l’expression, « un chameau est le résultat auquel arrive un comité quand il veut créer un cheval ». Il se peut qu’il y ait trop de joueurs autour de la table.

Le problème, c’est que lorsqu’on a autant de chefs, il est difficile de tous les avoir en même temps sur l’estrade, sachant que ce n’est pas forcément dans l’intérêt stratégique de tous. Le fait que nous n’ayons eu qu’un seul débat en anglais a été très décevant pour moi, car j’ai apparemment un appétit insatiable, et je trouve qu’il est beaucoup plus intéressant de suivre les débats en français.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Un avenir à zéro émission nette

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénatrice Coyle, attirant l’attention du Sénat sur l’importance de trouver des solutions pour faire la transition de la société, de l’économie et de l’utilisation des ressources du Canada dans la poursuite d’un avenir juste, prospère, durable et paisible à zéro émission nette pour notre pays et la planète.

L’honorable Stan Kutcher : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui au sujet de l’interpellation de la sénatrice Coyle sur le climat. Je mettrai l’accent sur les répercussions qu’ont les changements climatiques sur la santé humaine et sur la façon dont les systèmes de santé pourraient y répondre.

Pour commencer, je tiens à saluer le leadership dont a fait preuve la sénatrice Coyle et tous les efforts qu’elle a déployés pour créer et promouvoir le groupe des Sénateurs pour des solutions climatiques.

Les changements climatiques ne représentent pas seulement une menace pour l’environnement de la planète et l’économie mondiale. Ils constituent aussi une menace existentielle pour la santé humaine et nos systèmes de santé. En 2009, le journal médical The Lancet a décrit les changements climatiques comme la principale menace sanitaire mondiale du XXIe siècle. Leurs conséquences sont à la fois directes et indirectes. Pour ce qui est des conséquences directes, la fréquence de phénomènes météorologiques extrêmes, comme des inondations, des ouragans, des vagues de chaleur et des feux de forêt, nuit à notre santé et à notre capacité de fournir des soins de santé. Diverses maladies d’origine hydrique surviennent dans des zones inondées, et il devient extrêmement difficile d’avoir accès à des soins essentiels en temps opportun à cause des dommages aux infrastructures, telles que les routes et les ponts. Les feux de forêt entravent l’accès aux établissements de soins actifs, tout en augmentant la demande de soins à cause de leurs effets sur les troubles respiratoires. Nous sommes tous conscients de l’incidence des ouragans sur les infrastructures des soins de santé, ainsi que du fait que les vagues de chaleur augmentent les risques de décès.

Cependant, ce qui est peut-être moins compris, ce sont les répercussions indirectes des changements climatiques sur la dispersion géographique de maladies ou l’apparition de nouvelles maladies — particulièrement de maladies infectieuses. Par exemple, dans ma province, on observe une augmentation des infections transmises par les tiques qui peuvent mener à la maladie de Lyme. Cette situation s’explique par l’augmentation du nombre de tiques à pattes noires et le prolongement de leur durée de vie en raison d’hivers plus cléments. Leurs morsures propagent la bactérie Borrelia burgdorferi, la cause de la maladie de Lyme, ce qui entraîne une augmentation du nombre de personnes qui ont contracté la maladie. Selon l’Association canadienne de santé publique, cette situation — ces répercussions indirectes des changements climatiques sur la santé humaine — est alimentée par de nombreuses modifications complexes aux voies de transmission des maladies qui sont sensibles aux changements climatiques. Par exemple, le virus du Nil occidental est arrivé en Ontario en 2013 et il s’est étendu depuis à l’ensemble de la province.

Je veux que nous soyons conscients — dès maintenant — de certaines des vilaines maladies transmises par les tiques et les moustiques qui semblent se répandre au Canada en raison du changement climatique. Elles portent des noms impressionnants, comme l’anaplasmose granulocytaire humaine, la babésiose et l’encéphalite de La Crosse. Croyez-moi, aucun d’entre nous ne souhaite avoir un cas grave de l’une de ces maladies, même si nous pouvions prononcer leur nom. Leurs effets se font le plus durement sentir sur les populations qui sont plus susceptibles d’être en mauvaise santé et qui ont du mal a obtenir un logement abordable, à parvenir à la sécurité alimentaire et à avoir accès à des soins de santé de qualité. L’impact du changement climatique ne fera qu’aggraver ces inégalités. Pour s’attaquer à ce problème, il faut tenir compte des déterminants sociaux de la santé et prendre les mesures nécessaires pour protéger les établissements de soins de santé des phénomènes météorologiques violents, par exemple en les éloignant des plaines inondables.

Nous devons être prêts. Il y a deux domaines clés au sein des systèmes de santé où il est nécessaire de se préparer dès maintenant. Il s’agit de l’état de préparation au traitement et des risques pour les infrastructures de santé.

Le premier domaine est l’état de préparation au traitement. Comme nous nous en souvenons tous, lorsque la COVID-19 est arrivée, nous n’étions pas préparés. Les stocks d’équipements de protection individuelle étaient insuffisants, la capacité de pointe des urgences et des unités de soins intensifs était insuffisante, les systèmes de surveillance, d’établissement de rapports et de suivi étaient inadéquats, la coordination nationale de la réponse faisait défaut et j’en passe. Cela ne doit pas se reproduire. Nous avons besoin d’une capacité de surveillance des maladies coordonnée à l’échelle nationale, avec un organisme de reddition de comptes central. Cela inclut une base de données nationale sur la santé qui puisse fournir des informations en temps réel pour guider les décisions politiques et aider à orienter les ressources et les interventions là où elles sont nécessaires et au moment opportun.

(1720)

Nous devons aussi pouvoir rapidement fournir les traitements qui, à notre avis, pourraient être nécessaires. Par exemple, pour traiter les diverses maladies causées par la tique vectrice de la bactérie, il existe des médicaments tels que la doxycycline, la clindamycine et l’azithromycine. Il ne s’agit pas de produits exotiques, mais bien de médicaments courants.

Toutefois, comme on l’a constaté, ce n’est pas parce qu’il s’agit de médicaments courants qu’ils seront disponibles lorsque nous en aurons besoin. Nous avons actuellement de la difficulté à obtenir d’autres types de médicaments courants, comme des médicaments contre la fièvre pour les enfants ou encore des analgésiques. Récemment, j’ai fait plusieurs Shoppers Drug Mart à Ottawa pour acheter certains médicaments contre la congestion des sinus, mais je n’ai trouvé que des étagères vides. Nous ne pouvons pas nous retrouver dans la même situation.

Cette situation va de pair avec la préparation de nos fournisseurs de soins de santé. Je sais qu’il y a d’excellents médecins dans cette enceinte. Toutefois, face à une personne souffrant de malaises persistants et graves, de sueurs, de maux de tête, de nausées et de fatigue, combien d’entre nous songeraient à la babésiose? Si notre examen de base décelait la présence d’une anémie hémolytique — un problème de santé qui provoque la destruction des globules rouges —, on envisagerait certainement toutes les causes possibles, mais on ne songerait peut-être pas à demander une analyse microscopique à la recherche de parasites, ou encore un test de détection d’anticorps par immunofluorescence indirecte.

Soyons clairs : je ne parle pas de la préparation à la pandémie. Nous pourrions effectivement connaître des pandémies dues au changement climatique, mais il est plus probable que nous assistions à une augmentation progressive de divers types de maladies infectieuses. Elles se faufileront lentement jusqu’à nous, à moins que nous ne gardions un œil attentif.

En septembre 2020, le Lancet a publié un article intitulé « A pledge for planetary health to unite health professionals in the Anthropocene » dans lequel on proposait un engagement interprofessionnel à l’égard de la santé de la planète. Cet engagement ajoute la protection de la santé de la planète aux engagements fondamentaux que prennent les professionnels de la santé lorsqu’ils entreprennent leur carrière.

Reconnaissant cela, le plan stratégique de 2020 de l’Association médicale canadienne mentionne le bien-être environnemental. La Fédération des étudiants et des étudiantes en médecine du Canada, par l’entremise de son groupe de travail sur la réponse adaptative en matière de santé et d’environnement, a travaillé à l’élaboration de matériel pédagogique qui pourrait être intégré aux programmes d’études de médecine.

Bien qu’il reste beaucoup à faire, des initiatives sont déployées dans toutes les facultés de médecine du Canada, et je suis heureux de dire que la Faculté de médecine de l’Université Dalhousie est l’un des chefs de file dans ce domaine.

J’ai une grande confiance en nos collègues spécialistes des maladies infectieuses. Je sais qu’ils sont à la hauteur de ce défi. Je tiens également à saluer et à remercier notre collègue, la sénatrice Osler, pour son travail exemplaire à l’échelle nationale sur ce dossier.

J’ai bon espoir que ce travail nécessaire se fera bien et rapidement.

Le deuxième domaine est celui des risques pour les infrastructures de santé. Les infrastructures de santé sont des installations que beaucoup d’entre nous tiennent pour acquises, surtout les gens qui vivent dans de grands centres urbains. L’hôpital? Oui, il se trouve juste au bout de la rue. Le poste d’ambulances? Il y en a une à environ 15 minutes de route. Une pharmacie? Il y en a une au Centre Rideau.

Les établissements de soins de santé ne sont pas à l’abri des phénomènes météorologiques extrêmes qui peuvent endommager ou détruire n’importe quoi, allant des routes, ce qui rend difficile l’accès à un hôpital en cas d’urgence, aux ports, ce qui nuit au bon fonctionnement des chaînes d’approvisionnement de produits médicaux. Cette réalité nous fait réaliser que ces infrastructures essentielles pourraient être inaccessibles au moment où nous en avons le plus besoin.

Prenons, par exemple, la question des inondations. Selon une étude sur les répercussions des inondations sur les infrastructures de santé, les établissements de soins de santé sont confrontés à la fois à une réduction de leur capacité et à une augmentation de la demande. En ce qui concerne les récentes inondations au Bangladesh, l’UNICEF a dit ceci :

Les inondations ont endommagé les points d’eau et les installations sanitaires, ce qui augmente le risque de maladies d’origine hydrique [...] L’accès aux services de santé et de nutrition a été réduit en raison des dommages subis par 90 % des installations de soins de santé.

Pour en revenir au Canada, lors des récentes inondations en Colombie-Britannique, de nombreux patients ont dû être évacués des hôpitaux et des établissements de soins de longue durée, et l’accès aux établissements de soins actifs dans les zones ravagées par les inondations est devenu problématique.

Un récent exercice de cartographie des inondations pour les centres de soins de santé canadiens exposés à des risques d’inondation a permis de tirer la conclusion suivante :

Un nombre surprenant d’établissements sont exposés à un risque d’inondation, et ce, dans la plupart des provinces et des territoires. C’est au Manitoba et au Yukon qu’on trouve le plus fort pourcentage d’établissements exposés à un risque d’inondation [...] Le Yukon compte un petit nombre d’établissements au total, et une grande partie d’entre eux sont situés dans la plaine inondable. Cette situation montre qu’un désastre climatique causé par les changements climatiques pourrait perturber et endommager des infrastructures de santé importantes au moment où on a le plus besoin d’elles.

Confrontés à la réalité des changements climatiques, que peut-on faire, alors? Fort heureusement, beaucoup de possibilités s’offrent à nous. Nous pouvons envisager des possibilités d’action dans deux domaines complémentaires, c’est-à-dire rendre les établissements de santé écologiquement durables et les rendre résilients aux changements climatiques.

Les systèmes de santé sont responsables d’environ 4 % des émissions de carbone mondiales, et les établissements de santé peuvent prendre des mesures afin de réduire considérablement leur empreinte carbone. À la COP 27, le Forum économique mondial a produit un article intitulé « Here’s how healthcare can reduce its carbon footprint », qui parle de cet enjeu important. Rappelons, par exemple, que parmi tous les immeubles financés par les fonds publics, les hôpitaux sont ceux qui ont la plus forte intensité énergétique : ils émettent 2,5 fois plus de gaz à effet de serre que les immeubles commerciaux. Délaisser les carburants fossiles pour favoriser l’énergie renouvelable pourrait donc avoir des effets considérables.

D’autres solutions novatrices peuvent aussi avoir un effet positif.

Parmi les autres pistes d’action, mentionnons la possibilité de fournir les soins en clinique externe non plus à l’hôpital, mais dans des lieux communautaires offrant une meilleure efficacité énergétique, et la possibilité d’utiliser davantage de soins de santé virtuels de qualité dont l’impact environnemental est moindre, comme la télésanté et les systèmes de surveillance de la santé à domicile. Ces options auraient aussi l’avantage d’éliminer des déplacements entre la maison et l’hôpital, et donc de réduire l’empreinte carbone liée au transport.

Les établissements de soins de santé doivent aussi accroître leur résilience climatique. Dans ce domaine, de bonnes initiatives sont en cours de préparation. Je vais vous en faire part brièvement.

L’Organisation mondiale de la santé a publié le guide Établissements de santé résilients face au changement climatique et écologiquement viables — Orientations de l’OMS. Publié récemment, un rapport de l’OMS intitulé Cadre opérationnel pour renforcer la résilience des systèmes de santé face au changement climatique offre des conseils très pertinents pour réduire l’incidence des changements climatiques sur la santé humaine et les soins de santé.

De son côté, notre gouvernement fédéral a publié le document Évaluation de la vulnérabilité en matière de santé et de l’adaptation aux changements climatiques : Guide de travail pour le secteur canadien de la santé. Ce document vise à aider les établissements de soins de santé à évaluer leur préparation aux changements climatiques, puis remédier à ses lacunes.

Par ailleurs, la Coalition canadienne pour un système de santé écologique, en partenariat avec la Province de la Nouvelle-Écosse, a publié The Health Care Facility Climate Change Resiliency Toolkit, trousse sur la résilience des établissements de soins de santé que ceux-ci peuvent utiliser pour améliorer leur état de préparation aux changements climatiques.

Comme vous le constatez, honorables sénateurs, il y a déjà un bon travail d’amorcé, mais il reste encore beaucoup à faire.

Dans l’ensemble, les systèmes de soins de santé au Canada occupent le troisième rang mondial pour la plus grande empreinte carbone par habitant. Avant la pandémie, nos systèmes de soins de santé étaient responsables d’environ 5 % de nos émissions annuelles de gaz à effet de serre. Dans les faits, les émissions de gaz à effet de serre par habitant dans le secteur de la santé ont augmenté de 2018 à 2019.

En 2021, le Canada s’est engagé à respecter les recommandations du programme de la santé COP 26 de l’OMS, notamment à mettre en place des systèmes de santé durables, résilients au changement climatique et à faible empreinte carbone; à mener des recherches sur l’adaptation de la santé; à inclure les priorités sanitaires dans les contributions déterminées et à faire entendre la voix des professionnels de la santé en tant que défenseurs d’une volonté plus forte à l’égard des changements climatiques. J’y ajouterais ceci : veiller à la pleine intégration des communautés autochtones, inuites et métisses à la création, au développement, à la mise en œuvre et à l’évaluation de tout le travail qui doit être fait.

Nous avons besoin d’une initiative nationale cohérente pour établir les directives, coordonner les efforts des différentes administrations, et soutenir la réglementation et la mise en œuvre des changements durables dans les systèmes de santé. Cela nécessitera une collaboration entre des partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux; l’avis des experts canadiens, comme Santé Canada, l’Agence de la santé publique du Canada, l’Institut national de santé publique du Québec, des universités et des agences de subvention; ainsi que de l’expertise internationale, comme l’Organisation mondiale de la santé et les U.S. Centers for Disease Control and Prevention. La Stratégie nationale d’adaptation proposée actuellement est un contexte idéal pour répondre à ce besoin. Nous ne devons pas laisser cette stratégie d’adaptation échouer sur les rochers de l’inactivité.

(1730)

C’est un défi de taille — un défi existentiel —, mais c’est notre défi. Comme nous, Canadiens, l’avons montré à maintes reprises au cours de notre histoire, nous sommes à la hauteur de n’importe quel défi. Wela’lioq, merci.

L’honorable Jim Quinn : Honorables sénateurs, je prends la parole aujourd’hui pour appuyer les efforts collaboratifs visant à nous sensibiliser aux problèmes que connaît notre environnement à l’échelle mondiale. Mes brèves observations aujourd’hui porteront sur le secteur maritime et feront état de certains des efforts progressifs déployés dans ce secteur pour améliorer son rendement environnemental en général, et au Canada en particulier.

Avant de commencer, je tiens à souligner le leadership de nos collègues les sénateurs Coyle et Kutcher, qui ont beaucoup contribué en réunissant les sénateurs en faveur des solutions pour le climat. Ils ont organisé des discussions et des présentations données par des experts internationaux et nationaux qui s’efforcent d’informer le public et les gouvernements des graves problèmes que posent les changements climatiques pour notre planète. Comme l’a souligné de façon si saisissante l’un de nos présentateurs, « il ne s’agit pas seulement de sauver notre planète; il s’agit en fait de sauver l’humanité ».

Je remercie les sénateurs Coyle et Kutcher pour leur leadership dans ce dossier qui est si important pour nous tous, car les efforts internationaux doivent contribuer à un travail cumulatif et parvenir à des solutions pour ralentir et, espérons-le, renverser un jour les changements climatiques et leurs effets dévastateurs.

Le transport maritime a toujours été l’épine dorsale du transport des personnes et des marchandises sur le plan local, national et, bien entendu, international. Son incidence sur l’économie mondiale est donc indéniable. Au cours des deux dernières années, les chaînes d’approvisionnement mondiales ont connu de graves perturbations qui ont entraîné des pénuries de biens essentiels et une augmentation rapide des prix. En effet, cette situation était et est encore largement alimentée par la forte demande des consommateurs, ce qui a entraîné une augmentation historique des coûts du transport maritime. Après tout, dans le monde, environ 90 % des biens de consommation courante, qu’il s’agisse de produits alimentaires, d’appareils électroniques, d’automobiles, de vêtements, de produits énergétiques, de meubles ou autres, sont principalement transportés par bateau.

Au Canada, plus de 80 % des biens de consommation courante transitent par nos ports. Les 17 administrations portuaires que compte le Canada assurent la manutention de 340 millions de tonnes de marchandises par an, représentent plus de 200 000 emplois, et ont des retombées économiques directes de 36 milliards de dollars.

Compte tenu de l’énorme quantité de marchandises transportées par bateau dans le monde entier et des activités incessantes des ports — qui sont toutes essentielles à l’approvisionnement du monde —, il ne fait aucun doute que nous devons trouver des moyens de réduire leur incidence sur l’environnement. Il est également important d’adopter une approche globale destinée à trouver des solutions pour réduire l’incidence des activités de transport maritime sur l’environnement.

L’Organisation maritime internationale des Nations unies est la tribune où les 175 pays membres traitent de tous les enjeux liés au transport maritime. L’organisation repose sur quatre piliers, dont l’un concerne la prévention et la réduction de la pollution générée par les navires.

Au cours des décennies, de nombreux règlements et normes ont été développés conjointement au sein de l’organisation sur différents enjeux, comme le resserrement des règlements sur les rejets des navires, l’établissement de règles sur la gestion des eaux de ballast des navires afin d’éviter l’introduction d’espèces envahissantes, la création d’exigences relatives au type de peintures employées sur les bateaux — cela peut sembler étrange, mais il faut beaucoup de peinture sur un bateau — afin d’éliminer des substances comme le plomb et de nombreuses autres initiatives visant à réduire l’impact environnemental des navires.

Cependant, une des initiatives possiblement les plus importantes est la création des zones de contrôle des émissions, des zones désignées à différents endroits dans le monde où les navires doivent employer des carburants qui réduisent considérablement les émissions, notamment celles de soufre et d’oxyde nitreux.

Dans notre cas, nous partageons avec les États-Unis une zone de contrôle des émissions qui s’étend à 200 miles depuis la côte et à l’intérieur de laquelle les navires en exploitation au large ou pénétrant dans nos eaux sont tenus d’utiliser des carburants beaucoup plus propres. Cela réduit considérablement les émissions des navires en exploitation dans nos eaux côtières et nos ports, ce qui est fort avantageux pour d’importants segments de notre population ainsi que pour nos écosystèmes marins et terrestres.

Le Canada lui-même fait également preuve de leadership à l’égard de cet important aspect de la réduction de la pollution et de l’écologisation des activités en mer et dans les ports.

En 2007, divers intervenants de l’industrie marine au Canada ont formé l’Alliance verte, le principal programme de certification environnementale pour l’industrie maritime nord-américaine. Il s’agit d’une initiative volontaire qui permet à ses participants d’améliorer leur performance environnementale au-delà des exigences réglementaires. L’Alliance verte cible des enjeux environnementaux clés liés à la qualité de l’air, de l’eau et des sols ainsi qu’aux relations avec les communautés. Il s’agit d’une initiative inclusive, rigoureuse et transparente qui regroupe des participants de plusieurs types, c’est-à-dire des armateurs, des ports, des terminaux, des chantiers maritimes et les entreprises de la voie maritime basées au Canada et aux États-Unis.

Pour obtenir la certification Alliance verte, les participants doivent remplir toutes les exigences du processus de certification, lequel est assorti de résultats clairs et mesurables vérifiés par des experts de l’industrie tous les deux ans. On s’assure ainsi que les résultats sont maintenus tout en encourageant l’amélioration continue. L’Alliance verte compte également parmi ses membres des associations, des supporteurs et des partenaires, chacun soutenant à sa façon les participants dans leurs efforts en vue de réduire leur empreinte écologique.

Après des débuts modestes axés sur les Grands Lacs et la voie maritime du Saint-Laurent, l’Alliance verte rassemble aujourd’hui des centaines de membres d’horizons différents dans toute l’Amérique du Nord, qui partagent tous le même objectif : améliorer le bilan environnemental de l’industrie maritime par des actions concrètes et mesurables.

L’influence de l’association s’est étendue de l’autre côté de l’Atlantique, jusqu’en France, où l’Alliance verte Europe a été créée en 2020. Elle fonctionne selon le même modèle éprouvé qui a été créé ici même au Canada. Tout récemment, un grand exploitant de traversiers en Australie est devenu membre de l’Alliance verte, ce qui démontre clairement la valeur, le travail et le leadership de cet organisme en ce qui concerne les activités maritimes en mer et dans les ports, et montre que des mesures peuvent être prises pour réduire leur empreinte environnementale. Je salue l’excellent travail de l’Alliance verte et le rôle de chef de file qu’elle joue sur la scène internationale.

En tant que directeur général de longue date de l’un des ports les plus actifs du Canada, Port Saint John, au Nouveau-Brunswick, je m’en voudrais de ne pas parler brièvement des autorités portuaires canadiennes et de la façon dont le changement climatique peut les affecter, elles ainsi que notre économie. J’aimerais également mentionner certaines des initiatives que ces autorités ont prises et qu’elles continuent de déployer.

Les ports font partie de l’infrastructure essentielle du Canada, car ils relient la terre à l’eau et, par la suite, aux routes intérieures et aux liaisons ferroviaires qui sont particulièrement vulnérables aux conditions météorologiques, à l’érosion, aux incendies, aux inondations, à la montée des eaux et à d’autres phénomènes liés au changement climatique.

Quelques exemples montrent la réalité et les risques potentiels de ces facteurs liés aux changements climatiques. Nous nous souvenons tous des incendies et des inondations qui ont touché nos ports de la côte Ouest, notamment celui de Vancouver. Ces événements ont coûté des milliards de dollars à notre économie, en plus de perturber considérablement nos chaînes d’approvisionnement. Les ports de la côte Ouest n’ont pas été les seuls à être touchés. En effet, les ports du Centre et de l’Est du Canada ont également dû composer avec divers phénomènes météorologiques qui ont perturbé leurs opérations et nui à l’efficacité des chaînes d’approvisionnement.

Nos ports sont également exposés à d’autres risques importants liés aux changements climatiques, par exemple dans le secteur du marais de Tantramar, qui relie le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse. Cette zone est protégée par une série de digues très anciennes qui risquent de se rompre parce que les conditions météorologiques favorisent constamment l’érosion et l’élévation du niveau de la mer. Cela signifie qu’à court ou à moyen terme, les protections offertes par ces digues s’estomperont.

On ne peut pas laisser une telle situation se produire parce que le port d’Halifax, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et la Transcanadienne — tous des maillons cruciaux de la chaîne d’approvisionnement canadienne — se trouvent dans cette zone et deviendraient inutilisables. De toute évidence, la rupture de ces digues aurait des effets catastrophiques sur des localités comme Sackville, au Nouveau-Brunswick, et Amherst, en Nouvelle-Écosse, entre autres. Cela provoquerait une inondation qui dévasterait l’économie locale, provinciale et nationale.

Nos ports prennent aussi des mesures pour réduire et atténuer leurs propres effets sur les changements climatiques, en cherchant à protéger l’environnement et les écosystèmes portuaires. Toutes les administrations portuaires canadiennes sont membres de l’Alliance verte et y participent activement. Je suis heureux de pouvoir dire qu’elles ont franchi avec aise les divers niveaux du programme.

(1740)

Les ports sont déterminés à améliorer leur rendement et à assumer leurs responsabilités, non seulement en poursuivant l’écologisation de leurs activités, mais également en étant des partenaires responsables dans leur collectivité. L’élaboration de politiques environnementales portuaires est un autre aspect de cette question, tout comme les vérifications et les rapports environnementaux qui leur permettent de rendre des comptes au public. La création de programmes verts — comme des taux réduits pour les sociétés de transport maritime dont les navires sont certifiés par leur propre programme visant la réduction des émissions liées à leurs activités — est une autre façon de promouvoir les mesures prises par les ports dans ce domaine.

Les ports établissent des partenariats avec le public et des peuples autochtones pour que les préoccupations et les commentaires contribuent à guider les projets portuaires de façon durable sur le plan environnemental. Les ports permettent aussi aux navires d’utiliser les prises de quai; ils peuvent ainsi couper les moteurs et éteindre les générateurs qui consomment du carburant. Les ports s’efforcent également de protéger et de créer des habitats de poisson. Ils collaborent avec des experts, des universités, des collèges, des groupes autochtones et des groupes environnementaux de la région pour créer des programmes de surveillance et de protection des mammifères marins et d’autres espèces. Il y a bien d’autres initiatives.

Enfin, je tiens à souligner les initiatives prises par Port Saint John. En effet, la totalité de l’énergie utilisée par les terminaux de croisière, les bureaux administratifs et les terminaux appartenant au Port proviendra du projet éolien Burchill, qui sera bientôt mis en service, ce qui réduira considérablement l’empreinte carbone du port. Ce projet s’inscrit dans le cadre du nouveau plan de décarbonation et de durabilité de Port Saint John, qui est élaboré en partenariat avec des intervenants, notamment avec un concours de présentation sur la décarbonation de l’écosystème portuaire proposé aux étudiants de niveau postsecondaire du Nouveau-Brunswick.

En conclusion, j’espère que mon exposé souligne le fait qu’il existe aujourd’hui un intérêt renouvelé et un sentiment d’urgence pour aller plus loin et plus vite dans l’établissement d’une économie verte qui inclut un secteur maritime écologiquement viable. J’espère avoir brossé un tableau qui montre clairement que le Canada est effectivement un chef de file mondial dans le secteur maritime, comme il l’est dans d’autres secteurs pour ce qui est de faire avancer les solutions aux changements climatiques.

Merci de votre attention et, encore une fois, je tiens à remercier les sénateurs Coyle et Kutcher de leur leadership. Meegwetch. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Clement, le débat est ajourné.)

Le centième anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois

Interpellation—Suite du débat

L’ordre du jour appelle :

Reprise du débat sur l’interpellation de l’honorable sénateur Woo, attirant l’attention du Sénat sur le 100e anniversaire de la Loi d’exclusion des Chinois, sur les contributions que les Canadiens d’origine chinoise ont apportées à notre pays et sur la nécessité de combattre les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

L’honorable Yuen Pau Woo : Honorables sénateurs, il y a 100 ans, dans cette enceinte, les sénateurs ont voté pour la mise en place de la Loi de l’immigration chinoise de 1923, mieux connue sous le nom de Loi d’exclusion des Chinois, puisqu’elle visait dans les faits à interdire aux personnes d’origine chinoise d’entrer au Canada pendant une période de 24 ans. Je lance une interpellation pour attirer l’attention sur cet événement qui a entaché la réputation de notre institution et sur les torts immenses qu’il a causés à la communauté chinoise du Canada. J’invite tous les sénateurs à participer à l’interpellation, qui a par ailleurs deux autres objectifs, soit célébrer les contributions que les Canadiens d’origine chinoise ont apportées à notre pays, et amorcer une réflexion sur les formes contemporaines d’exclusion et de discrimination auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine asiatique.

Le 23 juin, le sénateur Oh et moi organiserons une activité avec le Sénat du Canada et Action Chinese Canadians Together pour commémorer la Loi d’exclusion des Chinois et prendre l’engagement d’éliminer toutes les formes d’exclusion auxquelles sont confrontés les Canadiens d’origine chinoise et les autres Canadiens d’origine asiatique. Nous avons invité le gouvernement du Canada à annoncer ce jour-là la décision de commander une plaque commémorative du centenaire que nous espérons pouvoir faire installer de façon permanente au Parlement du Canada. Puisque la décision ignoble d’exclure les Chinois a été prise au Parlement, c’est aussi là qu’elle devrait être répudiée.

J’ai l’impression d’avoir la responsabilité particulière de me rappeler le 100e anniversaire, car je suis un sénateur de la province qui appuyait le plus ardemment l’exclusion des Chinois. Des discours odieux en faveur de la loi ont été prononcés dans cette enceinte et ils ont été prononcés par mes prédécesseurs : des sénateurs de la Colombie-Britannique.

En tant que premier sénateur canadien d’origine chinoise de la Colombie-Britannique, j’ai le devoir particulier de désavouer leur héritage et de rappeler à mes concitoyens de la Colombie-Britannique un passé sombre. Voici un échantillon de propos ignorants et pleins de préjugés qui ont été tenus au Sénat. À la question de savoir si les épouses de Chinois qui étaient déjà au Canada devraient être exemptées de la loi, un sénateur de la Colombie-Britannique a dit ceci :

Si vous ouvriez la porte aux épouses des marchands Chinois, autant livrer la Colombie-Anglaise à la Chine. Nous avons assez d’Orientaux dans notre province, et vous en jugerez quand je vous apprendrai qu’ils détiennent 2,000 patentes commerciales dans la cité de Vancouver. Les Chinois se sont engagés dans tous les commerces imaginables, et je crois qu’ils ont un ou deux avocats.

Voici une citation d’un autre de mes prédécesseurs de la Colombie-Britannique :

[…] sur une population de 300 000 habitants, la Colombie-Britannique compte 30 000 Chinois […] Ils ne sont d’aucune utilité; nous ne les assimilerons jamais et n’en ferons jamais des Canadiens. Il serait préférable d’introduire des gens dont la race se rapproche plus de la nôtre. L’esprit des Chinois diffère absolument de l’esprit de la moyenne des Blancs. Il est impossible de percevoir ce qui se passe dans l’esprit des Chinois. Il est vrai que, dans un certain sens, les Chinois sont de bons citoyens. Ce sont de bons domestiques et de fidèles travailleurs, mais ils ne contribueront pas à développer un Canada dont nous serons fiers.

Certains d’entre vous pensent peut-être que le gouvernement canadien s’est déjà affranchi de la Loi d’exclusion des Chinois grâce aux excuses présentées par l’ancien premier ministre Stephen Harper en 2006. En fait, ces excuses portaient sur la taxe d’entrée et passaient sous silence la Loi d’exclusion des Chinois, pour laquelle l’ancien premier ministre s’est contenté d’exprimer sa tristesse. Le peu d’importance accordée à la Loi d’exclusion des Chinois est dû, je pense, à une incompréhension de l’importance de cette mesure législative.

Souvent, on considère que la Loi d’exclusion ne faisait pas de victimes, parce que nous ne connaîtrons jamais le nom des Chinois qui ont été interdits de territoire au Canada puisqu’ils n’ont même pas pu essayer d’entrer au pays. C’était différent dans le cas de la taxe d’entrée, parce qu’on remettait un certificat aux personnes visées pour prouver qu’elles avaient payé cette taxe injuste; un petit nombre de personnes ont d’ailleurs reçu une compensation après les excuses de 2006.

Cependant, l’idée d’un crime sans victimes est une mauvaise interprétation de l’histoire, parce qu’il y a bel et bien eu de nombreuses victimes. Il y avait les Canadiens d’origine chinoise qui étaient déjà en sol canadien et qu’on humiliait au moyen de cette loi, qui disait essentiellement que les gens de leur acabit n’étaient pas les bienvenus au Canada alors qu’eux s’y trouvaient déjà depuis des décennies. Le fait que la loi entrait en vigueur le jour de la fête du Dominion était le comble de l’insulte. C’est pour cette raison que de nombreux Canadiens d’origine chinoise à l’époque avaient commencé à appeler le 1er juillet le « jour de l’humiliation ».

L’humiliation allait plus loin que l’interdiction de territoire de leurs parents et amis. La loi exigeait en plus que toute personne d’origine chinoise déjà en sol canadien s’enregistre dans les 12 mois suivant son entrée en vigueur. Ceux qui ne le faisaient pas s’exposaient à une amende ou à une peine d’emprisonnement ou aux deux. Même une fois enregistrés, les Canadiens d’origine chinoise continuaient d’être harcelés par les forces de l’ordre, qui remettaient en question la véracité de l’information qu’ils leur présentaient.

La Loi d’exclusion des Chinois a donc eu pour effet de créer un « registre des étrangers indésirables ». Vous êtes-vous demandé pourquoi, en ce moment, autant de Canadiens d’origine chinoise se méfient des efforts visant à faire inscrire à nouveau tous ceux qui sont déjà au pays, mais qu’on juge entretenir de mauvais liens ou avoir de mauvais antécédents? Nul besoin d’aller plus loin que la sombre histoire de la Loi d’exclusion des Chinois. En fait, à l’époque, la communauté chinoise appelait cette loi la « Loi sur la cruauté ».

Le 1er juillet prochain, le Chinese Canadian Museum de Vancouver ouvrira officiellement ses portes en présentant une exposition intitulée « The Paper Trail », qui portera sur les répercussions que la « Loi sur la cruauté » a eues sur les Canadiens d’origine chinoise. On pourra notamment y voir les paroles d’une chanson déplorant la « Loi sur la cruauté ». Il s’agit du texte gagnant d’un concours organisé par la communauté pour sensibiliser les gens et les mobiliser. En voici les premières lignes, traduites librement du dialecte taishan original :

Le 1er juillet arrive à grands pas,

Et nos cœurs sont remplis d’effroi

À cause d’une loi qui, par brutalité et colère,

Rayera nos compatriotes de la surface de la terre.

(1750)

Je vous chanterais bien cette chanson, mais la mélodie s’est perdue — et de toute façon, vous ne voulez pas m’entendre chanter. Nous avons donc demandé à un jeune compositeur canadien d’origine chinoise d’écrire une nouvelle partition musicale pour accompagner les paroles. Nous espérons que cette chanson soit chantée ici même au Sénat le 23 juin.

En plus du fait que notre institution a rendu cette loi possible, ai‑je besoin de rappeler aux honorables sénateurs que notre édifice est une ancienne gare ferroviaire qui faisait partie du chemin de fer pour la construction duquel les ouvriers chinois ont été amenés au Canada dans les plus terribles des conditions. Une cérémonie solennelle en ces murs permettrait une certaine guérison, si je puis dire.

Il y a encore beaucoup à dire au sujet de cette loi cruelle et de son incidence à long terme sur les Canadiens d’origine chinoise et la société canadienne, mais je dois passer à la deuxième partie de mon interpellation, qui vise à célébrer les réalisations des Canadiens d’origine chinoise depuis l’abrogation de la loi en 1947. Cette même année, on a conféré aux Canadiens d’origine chinoise ou asiatique méridionale le droit de voter à une élection fédérale. Cela a en partie été possible grâce aux centaines de Chinois qui se sont portés volontaires pour aller au combat avec le Canada lors de la Seconde Guerre mondiale, même s’ils n’étaient pas reconnus à titre de citoyens.

À certains égards, cet aspect de l’interpellation est la partie facile, car il est plus qu’évident que les Canadiens d’origine chinoise et asiatique connaissent de grandes réussites dans bien des domaines et contribuent généreusement au Canada. Toutefois, c’est également la partie la plus difficile, car je ne saurais possiblement rendre justice aux multitudes de Canadiens d’origine chinoise qui méritent d’être reconnus. Peut-être pourrais-je laisser le soin de nommer ces personnes à ceux d’entre vous qui prendront la parole dans le cadre de cette interpellation et qui souhaiteraient reconnaître tout particulièrement certains membres de notre communauté.

Au lieu de nommer des personnes méritantes, j’aborde donc un autre angle. Je tiens à souligner que malgré toutes leurs réalisations, les Canadiens d’origine chinoise sont grandement sous-représentés dans les postes de direction des principales institutions canadiennes, y compris dans la fonction publique fédérale, les tribunaux, les conseils d’administration d’entreprises et les conseils publics, les arts, l’administration des universités et des hôpitaux et, un dernier point mais non le moindre, au Parlement et parmi les ministres.

À titre d’exemple, selon une étude réalisée en 2019 auprès des principales organisations œuvrant dans huit grands secteurs du Grand Toronto, les Sino-Canadiens, qui représentent 11 % de la population de la région, occupent 2 % des postes de dirigeants. Ce pourcentage est encore plus faible si on regarde la représentation des femmes sino-canadiennes, qui se situe à 1 %.

Il y a dans cette situation quelque chose de mystérieux, puisqu’on n’associe généralement pas les Canadiens d’origine chinoise aux autres groupes en quête d’équité, et qu’on suppose en général que les membres de cette communauté s’en tirent bien en ce qui concerne la plupart des indicateurs économiques et sociaux. Je crois que la clé du mystère se trouve à la fois au sein de la communauté et à l’extérieur.

En effet, de nombreuses familles d’immigrants chinois préfèrent faire preuve de diligence et se mêler de leurs affaires que de chercher à remettre en question l’ordre établi et à occuper des postes de direction. Ces familles ont coutume de dire : « Nous sommes des invités dans ce pays. » En un sens, c’est un signe d’humilité et de respect, mais c’est aussi une attitude engendrée par la discrimination et l’exclusion vécue au fil de l’histoire.

Les Canadiens d’origine chinoise ne sont plus des invités dans notre pays, peu importe à quel moment ils sont arrivés parmi nous. Ils ne devraient ni se voir comme des invités ni être traités comme tels. Personne n’a le droit de nous dire de retourner dans le pays de nos origines, même pas l’ancien chef de cabinet du premier ministre, qui m’a dit cela parce qu’il n’aimait pas mes points de vue.

Cela m’amène à parler de la troisième partie de l’interpellation : 75 ans après l’abrogation de la Loi d’exclusion des Chinois, certaines formes d’exclusion subsistent dans la société canadienne. Nous savons que les Autochtones et des minorités raciales subissent l’exclusion un peu partout au pays. Pour affronter la discrimination systémique, il est vital pour les Autochtones et les minorités visibles d’unir leurs forces, même si les histoires et les besoins des diverses communautés diffèrent.

Les Canadiens d’origine chinoise subissent au moins trois types d’exclusion moderne. Le premier est le racisme « classique », qui n’est pas si différent de ce qui a mené à la Loi d’exclusion des Chinois il y a 100 ans. C’est le sentiment qui anime une grande partie des attaques non provoquées que subissent les Canadiens d’origine asiatique ces dernières années. Le nombre de racistes non réformés est probablement petit, mais ils sont soutenus et encouragés par des gens en apparence respectables, et qui nourrissent une hostilité fondée sur la race en insinuant des généralisations à propos des Canadiens d’origine chinoise et des maux de société dont ils seraient responsables — par exemple, le blanchiment d’argent, les logements inabordables et l’épidémie de décès liés aux opioïdes.

Le deuxième type d’exclusion repose sur des stéréotypes de longue date à propos des Canadiens d’origine chinoise et de leur utilité ou de leurs forces. Certes, les Chinois excellent en mathématiques et en ingénierie. Ils font d’excellents médecins et avocats. Ils sont d’incroyables musiciens et, de façon générale, de bons citoyens. Ont-ils toutefois leur place dans les postes de direction? J’ai déjà dit que c’est un problème auquel les Canadiens d’origine chinoise doivent s’attaquer, en ce qui concerne les perceptions qu’ils ont d’eux-mêmes et leurs aspirations personnelles. Toutefois, nos institutions doivent aussi se pencher sur cette question.

La troisième exclusion est la plus insidieuse, car elle vise à diviser la communauté chinoise en deux catégories : ceux qui sont acceptables et ceux qui ne le sont pas. Un Canadien d’origine chinoise acceptable est celui qui se conforme à une certaine vision du monde, qui désavoue ses affiliations avec des individus et des groupes qui sont mis à l’index pour des raisons politiques et qui exprime publiquement son opposition à ce qui est considéré comme la menace globale qu’est la République populaire de Chine. Le fait de ne pas se conformer à ces principes est considéré au mieux comme suspect ou, ce qui est plus inquiétant, comme une preuve de déloyauté et de malfaisance envers le Canada.

C’est le genre d’exclusion qui se manifeste lorsqu’on rend hommage aux Canadiens d’origine chinoise s’ils votent dans le bon sens lors d’une élection, mais si on les considère comme ayant été influencés par des puissances maléfiques s’ils ne le font pas.

C’est le genre d’exclusion qui se manifeste lorsqu’on remet en question les motivations des groupes communautaires chinois qui ont acheté des équipements de protection individuelle en grandes quantités pour les envoyer en Chine au début de la pandémie, et qui les remet à nouveau en question lorsqu’ils ont ramené de grandes quantités de ces équipements de Chine pour les distribuer au Canada, alors que nous connaissions un pic d’infections.

C’est le genre d’exclusion qui se manifeste lorsqu’on suppose que chaque infraction sur le lieu de travail dans le secteur technologique est un cas d’espionnage, lorsqu’on considère les collaborations entre scientifiques canadiens et chinois comme intrinsèquement suspectes et lorsqu’on demande aux chercheurs sino-canadiens de tourner le dos à des partenariats de longue date sur le continent.

Chacune de ces exclusions offre une justification à laquelle on peut être sensible, mais la somme de ces attitudes et de ces actions se résume en la stigmatisation, la démoralisation et l’aliénation, à l’instar de la Loi d’exclusion des Chinois d’il y a 100 ans.

Je sais que la communauté chinoise n’est pas homogène, et que les Canadiens d’origine chinoise ont des opinions qui couvrent toute l’étendue du spectre politique, ainsi qu’une variété de questions géopolitiques. Cette force de la communauté doit être célébrée. Nous ne devons cependant pas — et je m’adresse ici aux Canadiens d’origine chinoise — permettre que cette diversité soit utilisée comme une forme de ségrégation interne, notamment par les membres de la communauté elle-même. J’espère que ce centième anniversaire donnera l’occasion aux Canadiens d’origine chinoise de toutes les allégeances de réfléchir à l’expérience collective de leurs ancêtres pendant la période de la Loi d’exclusion des Chinois et de travailler ensemble pour empêcher les formes modernes d’exclusion de diviser la communauté.

Quant au Sénat, j’espère que cette interpellation lui rappellera la grave erreur commise par le Parlement du Canada il y a 100 ans et la facilité avec laquelle il a pu se tromper. Il n’y a eu aucun vote par appel nominal sur le projet de loi et, au dire de tous, l’opinion publique était massivement en faveur de celui-ci. Une fois qu’il a été admis que les Chinois constituaient une menace pour le Canada, il est devenu trop facile d’adopter ce projet de loi ainsi que d’autres pour contrer cette menace. Faisons en sorte que l’histoire ne se répète pas.

Honorables collègues, j’espère que vous voudrez prendre la parole dans le cadre de cette interpellation. J’ai hâte d’entendre vos interventions. Merci.

(Sur la motion de la sénatrice Omidvar, le débat est ajourné.)

Les travaux du Sénat

Son Honneur le Président : Honorables sénateurs, conformément à l’article 3-3(1) du Règlement, je dois quitter le fauteuil jusqu’à 20 heures, à moins que vous ne souhaitiez ne pas tenir compte de l’heure. Avant de poser la question, je vous fais savoir qu’il ne reste que deux questions au Feuilleton. Vous plaît-il, honorables sénateurs, de faire abstraction de l’heure?

Des voix : D’accord.

(1800)

Peuples autochtones

Motion tendant à autoriser le comité à étudier les effets de la fraude d’identité sur la marginalisation accrue des peuples autochtones—Ajournement du débat

L’honorable Mary Jane McCallum, conformément au préavis donné le 13 décembre 2022, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la fausse représentation de l’ascendance autochtone, les normes d’auto‑identification inadéquates et les effets profonds que cette fraude d’identité a sur la marginalisation accrue des peuples autochtones, en particulier les femmes autochtones;

Que le comité soumette son rapport final au Sénat au plus tard le 31 décembre 2023.

 — Honorables sénateurs, je souhaite prendre la parole aujourd’hui au sujet de la motion no 96, qui dit ceci :

Que le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones soit autorisé à étudier, afin d’en faire rapport, la fausse représentation de l’ascendance autochtone, les normes d’auto-identification inadéquates et les effets profonds que cette fraude d’identité a sur la marginalisation accrue des peuples autochtones, en particulier les femmes autochtones [...]

Je tiens à saluer le sénateur Brazeau, qui a présenté, le 20 septembre 2018, la motion no 371 sur la vente de cartes de membre frauduleuses.

Honorables collègues, il est important de dire que je ne suis pas la seule à faire tout ce travail au Sénat, car il s’agit toujours d’un effort collectif pour remédier à un problème, qu’il soit question de réparer les torts du passé ou de combler les lacunes dans les politiques et les lois actuelles. Il est important de préciser que la lutte contre ces injustices est un fardeau qui pèse davantage sur les femmes autochtones et qui est lourd de conséquences pour nombre de personnes ainsi que pour leurs relations. Le travail des femmes autochtones est un effort collectif et il le demeurera toujours, car c’est ainsi que sont les esquiwak.

Je souhaite remercier le Groupement des femmes autochtones et reconnaître le travail qu’il a accompli sur la question du vol et de la fraude d’identité chez les Autochtones. C’est en leur nom que je soumets cette question au Sénat.

Honorables sénateurs, je souhaite d’emblée parler du mot « identité ». Kim TallBear, spécialiste des études et de la technologie autochtones, a analysé les cas de changement de race aux États-Unis et au Canada depuis le début des années 2000, particulièrement en ce qui concerne la recherche et les tests génétiques. Dans l’article « La fraude d’“identité” autochtone n’est pas une distraction, mais la dernière prime sur la tête des Indiens », Kim TallBear affirme que :

Jouer à l’Indien est une pratique de plus en plus courante selon laquelle des personnes non autochtones (le plus souvent, mais pas toujours, des Blancs) revendiquent de manière particulièrement publique leur identité autochtone, parfois pour en tirer un grand profit financier et pour faire avancer leur carrière.

Elle nous met en garde contre l’utilisation du terme « identité ». Elle déclare que « c’est généralement un mot individualiste qui se rapporte à nos corps individuels et aux choses que nous considérons comme la propriété des corps [...] » Peut-être que les bons termes seraient « nos parents, nos proches, notre citoyenneté, notre parenté, et qui nous sommes ou ce que nous devenons ensemble en tant que collectifs ».

Kim TallBear poursuit :

Nous ne voulons pas renforcer l’individualisme qui est à l’origine de prétentions souvent fausses et contribuer à effacer davantage le fait que nous formulons des revendications collectives et que nous affirmons des idées et des responsabilités culturelles et politiques forgées collectivement.

Dans le livre Claiming Anishinaabe : Decolonizing the Human Spirit, ou se réclamer anishinaabe : décoloniser l’esprit humain, l’auteure Lynn Gehl cite Robert Bocock, qui affirme que :

[...] la culture est mieux comprise comme un ensemble de pratiques par lesquelles des significations sont produites, partagées et échangées au sein d’un groupe [...] si les entités et les significations culturelles sont antérieures à notre identité, c’est l’attribution collective de significations à celles-ci qui nous permet d’apprécier ce qu’elles sont et le but qu’elles servent.

Elle poursuit ainsi:

Richard Castillo est d’accord avec cette idée que la culture d’une personne est une source d’orientation et d’action lorsqu’il affirme que les systèmes de signification culturelle fournissent aux humains des fonctions représentatives, constructives, directives et évocatrices.

Honorables sénateurs, pour ma génération, il a fallu vivre au sein d’une communauté pour arriver à ces significations, à ces enseignements et à ces connaissances pratiques, qui sont enseignés par existence axée sur la terre. Aujourd’hui, nous devons trouver comment transmettre le savoir aux générations futures, dont beaucoup sont dépossédées de leur terre, de leur identité et de leur parenté sans que ce soit leur faute.

Comme l’a déclaré le Groupement des femmes autochtones, le préjudice le plus insidieux causé par le « fauxtochtonisme » est celui qu’il inflige aux peuples autochtones qui renouent avec leur culture et leur identité. Les peuples autochtones déplacés ont besoin d’être soutenus et reconnus. Les « fauxtochtones » revendiquent de manière perverse la vulnérabilité et la violence vécues par les peuples autochtones et l’utilisent ensuite à leurs propres fins insensibles et égocentriques.

Dans son ouvrage intitulé Conquest: Sexual Violence and American Indian Genocide, l’auteure Andrea Smith déclare :

Plutôt que d’adopter une stratégie pour se battre afin d’obtenir d’abord la souveraineté et ensuite améliorer le statut des femmes autochtones, comme nombre de militants le proclament, il faut comprendre que les attaques dirigées vers le statut des femmes autochtones sont en soi des attaques contre la souveraineté autochtone.

Chers collègues, comment est-il possible que la politique d’auto‑identification soit encore en vigueur, laissant ainsi la voie libre aux fauxtochtones, qui continuent injustement à maintenir et à exercer un grand pouvoir et de l’autorité dans les dossiers qui devraient être dirigés par les Autochtones? Cette pratique bénéficie malheureusement du soutien du gouvernement qui affirme qu’« aucune relation ne compte autant que notre relation avec les Autochtones ». Cette auto-identification représente l’un des aspects de la violence intellectuelle inhérente à l’usurpation de l’identité autochtone.

Notre histoire en tant que Premières Nations, Métis, Inuits et esquiwak non inscrits porte sur la création et la célébration de la vie et de l’amour; le respect; le courage; ainsi que sur la compréhension et la célébration de la résilience gagnées au prix de leçons complexes apprises en relation avec la vie, la nature, l’environnement et l’astronomie. Notre histoire devrait être la seule chose dans notre vie qui nous appartient réellement. C’est ce qui nous a reliés à nos ancêtres depuis des siècles, ce qui a été transmis aux nouvelles générations, ce qui nous a maintenus en sécurité et ce qui nous a motivés à élever notre voix pour ceux qui ne sont pas encore là et ceux qui ont été marginalisés et muselés. C’est ce qui nous a poussés à aller vers le changement transformationnel pour reprendre notre pouvoir et notre esprit qui ont été volés par l’Église, le gouvernement, le patriarcat et même ces autres femmes qui s’attribuent délibérément du pouvoir sur la souveraineté de notre histoire, et par le fait même notre héritage, et la déforment.

Chers collègues, tout comme le Groupement des femmes autochtones, je dénonce cette supercherie qu’est le vol de l’identité autochtone. Ses tentacules s’insinuent à tous les niveaux des pouvoirs académiques, politiques et judiciaires. Les institutions coloniales doivent mettre fin à leur mutisme historique et dénoncer cette situation pour ce qu’elle est : un vol légitime. Si ces institutions sont déterminées à parvenir à la réconciliation, elles contribueront à mettre fin au silence qui entoure cette question, elles renonceront à cette pratique et elles reconnaîtront le tort qu’elle cause aux peuples autochtones, et plus particulièrement aux femmes et aux enfants autochtones.

Honorables sénateurs, comme c’est la coutume dans la culture crie, j’aimerais présenter mes parents et mon histoire. Lorsque des Cris se rencontrent, ils demandent : « Qui sont vos parents? » — a winak ke mama equa ke papa? — et « D’où venez-vous? » — tant ke tha ochi? —, car cela leur donne un cadre de référence leur permettant de savoir qui on est et ce qu’on représente.

Mon nom spirituel est Wa Ba Ne Quie, ce qui signifie Femme de l’Aube ou Femme de l’Est. Je viens du clan des Faucons. J’ai reçu mon nom spirituel à l’occasion d’une cérémonie de la « tente tremblante » au cours de laquelle j’ai reçu de la médecine traditionnelle. Ma mère, Marie Adele Thomas, était une Métisse. La famille de sa mère avait fui la région de Selkirk, près de Winnipeg, pour se réfugier à Brochet au début des années 1900, car ses membres craignaient pour leur vie. Les ancêtres de mes arrière‑grands-parents venaient de la France et de l’Écosse et ils ont épousé des ethenewak — des êtres humains — du Canada. Ethenewak est le mot que nous utilisions pour nous désigner avant la Loi sur les Indiens.

(1810)

Le père de ma mère était originaire de la bande de Cumberland House, en Saskatchewan. Ma mère est décédée en 1957 d’un cancer de la thyroïde. Les souvenirs que j’ai d’elle proviennent des histoires racontées par des membres de la famille et des aînés et on se souvient d’elle comme d’une mère attentionnée et travailleuse qui avait de nombreuses compétences.

J’ai été envoyée au pensionnat trois semaines après son décès et je n’ai pas réussi à surmonter ce traumatisme à ce jour, car j’ai refoulé mes souvenirs de cette période de ma vie. Lorsque ma mère a épousé mon père, elle est devenue une Indienne inscrite et a été définie comme telle par les étrangers, l’église et l’agent des Indiens, une femme fantastique à laquelle les colons accordaient peu ou pas d’importance.

Mon père, Horace McCallum, était un Indien inscrit et il est arrivé à Brochet à l’âge de 16 ans. Sa mère était originaire de la bande de Shoal Lake et son père de la bande de Peter Ballantyne, toutes deux en Saskatchewan. Mon père était un chasseur, un trappeur, un éducateur et un parent seul. Il était déterminé, innovateur, sans peur et observateur.

Lors des premières années, lorsqu’il a commencé à piéger à l’âge de 16 ans, il marchait jusqu’à sa ligne de piégeage par une température de -40 degrés, car il n’avait pas d’attelage de chiens et il tirait le traîneau derrière lui. Il reste, à ce jour, mon plus grand professeur, mentor et modèle. Il n’a jamais laissé le système colonial le définir ni définir sa vie, et j’espère lui rester fidèle et suivre ses traces.

Honorables sénateurs, que penseriez-vous si je vous disais qu’aujourd’hui j’ai décidé que je serais une femme blanche? Ce pays a dépensé d’énormes quantités d’argent, de temps et d’efforts pour supprimer l’Indienne en moi en essayant d’effacer ma langue, ma culture, mon environnement et ma spiritualité. Il m’a enseigné le péché, les aspects négatifs de l’enfance, de la vie de jeune fille et de la vie de femme, les mots désobligeants de votre langue, comme « sauvage », et le rôle subordonné des femmes. Il a élaboré des politiques et des stratégies pour maintenir les Autochtones dans l’oppression tout en en tirant profit, car le fait de nous opprimer systématiquement permet à d’autres de trouver du travail. Qu’en pensez-vous? M’accepteriez-vous si je devenais Blanche? Serais-je traitée différemment? N’est-ce pas un concept et une proposition ridicules?

Chers collègues, je veux conclure avec un message conjoint de la part du Groupement des femmes autochtones et moi-même.

En langue crie, iskotew signifie « feu dans le cœur d’une femme ». Nous avons été témoins du courage de très nombreuses femmes autochtones qui sont intervenues publiquement pour dénoncer les révélations sur la tromperie et l’usurpation d’identité commises par Mary Ellen Turpel-Lafond. Turpel-Lafond et d’autres personnes comme elle ont, par leurs actions, la capacité d’arrêter et de réduire au silence les avancées concernant la violence coloniale envers les femmes autochtones, avancées défendues par des femmes comme le Groupement des femmes autochtones. Le pouvoir et le prestige désirés, obtenus et affichés publiquement par ceux qui usurpent l’identité autochtone ont réduit au silence de nombreuses personnes. Par la suite, ils ont injustement laissé aux femmes autochtones le soin de faire le travail nécessaire pour contrer les conséquences du vol, le chagrin et l’impuissance qu’ils ont contribué à créer. Il incombe maintenant aux femmes autochtones de relever le défi consistant à tenir les institutions coloniales responsables d’avoir permis et protégé ceux qui pratiquent sciemment et avec préméditation l’usurpation d’identité.

Chaque fois qu’une femme autochtone se lève, elle allume un feu et élève les personnes oubliées, maltraitées et réduites au silence. Eden Fineday, Cindy Blackstock, la vice-chef Aly Bear, Audra Simpson et bien d’autres sont des exemples de iskotew. Ce dont on ne parle pas souvent, c’est de la pression exercée sur les femmes autochtones en privé pour qu’elles se taisent : Ka we the aya me — ne parle pas. Même le fait d’empêcher la parole est une menace — un acte de violence. Qu’elles soient dans une relation violente ou qu’elles combattent la violence systémique, les femmes autochtones ont toujours été confrontées à la pression de se taire. Ka ke to — n’émets pas un son. Pourtant, nous persistons. C’est ainsi que la guérison et le changement transformateur se produisent en temps réel. Nous vous demandons donc humblement de partager votre amour et votre soutien pour les femmes autochtones qui s’expriment, car elles ont mené des batailles silencieuses que nous ne voyons pas et ont surmonté une pression croissante cachée du public. Lorsque nous voyons du courage, nous devons l’honorer. Cette idée correspond aux traditions de nombreuses nations autochtones de l’Île de la Tortue, qui consistent à honorer le guerrier et à exécuter la danse de la victoire lorsque le courage vainc la peur. Parce que c’est ce dont vous êtes témoins aujourd’hui et ce dont vous serez témoins dans les jours à venir : le courage qui vainc la peur. Kinanâskomitin. Merci.

Des voix : Bravo!

L’honorable Marilou McPhedran : J’ai une question pour la sénatrice McCallum.

Son Honneur le Président : Le temps de parole de la sénatrice McCallum est écoulé. Elle devra demander plus de temps si vous voulez lui poser une question.

Sénatrice McCallum, souhaitez-vous demander cinq minutes de plus pour répondre à une question?

La sénatrice McCallum : Oui.

Son Honneur le Président : Le consentement est-il accordé, honorables sénateurs?

Des voix : D’accord.

La sénatrice McPhedran : Sénatrice McCallum, vers la fin de votre discours, vous avez parlé du dilemme du leadership au sein des institutions colonialistes. Je suis consciente, comme le sont beaucoup de sénateurs, que vous êtes la chancelière d’une université au Manitoba. Je me demande comment vous arrivez à concilier vos deux rôles. Est-ce un conflit constant? Bien sûr, les universités sont un des lieux où l’on voit beaucoup des cas dont vous avez parlé ce soir.

La sénatrice McCallum : Je vous remercie de votre question. J’ai dû décider de quelle façon je souhaitais travailler sur la question du vol d’identité et de la fraude d’identité. J’ai décidé d’y travailler en tant que sénatrice. J’ai donc dit à l’université, au conseil d’administration et au Sénat de l’université que je ne participerais pas à leurs travaux portant sur une politique relative au vol d’identité et à la fraude d’identité.

Ils élaborent cette politique par eux-mêmes et n’en discutent pas devant moi. Ils s’en occupent, avec d’autres universités. Ils travaillent avec l’Université du Manitoba.

(Sur la motion du sénateur Dalphond, le débat est ajourné.)

Banques, commerce et économie

Autorisation au comité de déposer son rapport sur les questions relatives aux banques, au commerce et à l’économie en général auprès du greffier pendant l’ajournement du Sénat

L’honorable Pamela Wallin, conformément au préavis donné le 9 février 2023, propose :

Que le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie soit autorisé, nonobstant les pratiques habituelles, à déposer auprès du greffier du Sénat un rapport relatif à son étude sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation, si le Sénat ne siège pas à ce moment-là, et que ledit rapport soit réputé avoir été déposé au Sénat.

Son Honneur le Président : Vous plaît-il, honorables sénateurs, d’adopter la motion?

Des voix : D’accord.

(La motion est adoptée.)

(À 18 h 19, le Sénat s’ajourne jusqu’à 14 heures demain.)

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